Interrogations sur quelques courriers de Jean Baptiste Carrier
Plusieurs
courriers de Jean Batiste Carrier, adressés au Comité de salut
public, soulèvent des interrogations de date et/ou de lieu.
Nous
allons en reprendre trois, suivant l’ordre qu’Alphonse Aulard
leur a donné, dans le « Recueil
des actes du Comité de salut public, avec la correspondance
officielle des représentants en mission et le registre du conseil
exécutif provisoire »,
soit 27 volumes publiés de 1889 à 1933.
Notons
toutefois qu’il en existe d’autres (voir en fin d’article)
1-
Angers, le 12 novembre 1793
( t 8 p 37)
Cette
lettre d’une douzaine de pages, la plus longue que Carrier ait
écrite, mais dont nous n’avons pas l’original, est un véritable
compte rendu de son activité depuis son arrivée à Nantes le 7
octobre. Les termes semblent pesés et les jugements motivés. Il
relate pour le Comité son séjour aux armées du 8 au 19
octobre, donne son avis sur ses collègues et les généraux
rencontrés, puis détaille quelques mesures qu’il a prises à
Nantes.
Selon
Aulard, Carrier écrit le 12 novembre -22 brumaire- puisque dans le
corps de la lettre on lit : «
...nous attendons aujourd’hui, 22 brumaire ».
En
bas de page, il note toutefois que la Revue rétrospective a commis
« ..
sans doute une faute d’impression »
puisqu’elle date, au contraire, cette lettre du 2 eme jour de la 2
eme décade de l’an 2, soit, conclut-il, le 2 novembre 1793.
En
effet, la Revue rétrospective ou bibliothèque historique, dans son
édition de 1836 tome 5 page 108, indique pour ce courrier :
« Angers,
le 2 eme jour de la 2 eme décade de l’an 2 de la république
française. Si
le mois -brumaire- n’est pas précisé, la lettre est classée
entre celle du 20 octobre et celle du 22 novembre, datées, elles en
« ancien style » ou « style esclave » comme
l’écrivaient parfois les révolutionnaires eux-mêmes peu
familiarisés avec le nouveau calendrier, en particulier les décades,
dont le décompte est assez malaisé. Nous en verrons quelques
exemples plus loin.
Si
la lettre en question est du mois de brumaire, c’est bien le 2
novembre dont il s’agit, date que reprendra Alfred Lallié, dans
son ouvrage sur Carrier.
Si,
par contre, elle est de frimaire, cela nous reporte au 22 novembre
1793, ce qui semble improbable. Certains évènements relatés, dont
la prise de Cholet le 17 octobre, sont déjà bien lointains pour en
informer le Comité avec pertinence. En outre la veille, 21 novembre,
le représentant a déjà longuement rendu compte à la Convention de
la fête de la raison organisée à Nantes.
Toutefois,
si la date du 12 novembre 1793 est exacte, il est improbable qu’elle
ait été écrite d’Angers.
Dans
ce courrier Carrier évoque la mort de Léchelle, le général en
chef de l’armée de l’Ouest : « Il
s’était rendu à Nantes le 18 ou 19 brumaire ; il voulut me
voir avant de mourir. A mon approche de son lit, il versa quelques
larmes et me dit d'un ton mourant : Pourquoi avez-vous quitté
l'armée? Pourquoi m'avez-vous abandonné ? Il expira le lendemain ».
Léchelle
est décédé le 11 novembre 1793. Outre l’analogie christique, on
peut noter que Carrier se trouve alors à Nantes auprès de lui.
Il
aurait pu repartir aussitôt pour Angers, le 11 au soir ou le 12,
afin de rédiger sa lettre.
Mais
le lendemain « 22
eme jour du 2 eme mois de l’an 2 »
soit le 12 novembre, un arrêté, signé de lui, est pris à Nantes
pour nommer une quinzaine de citoyens au conseil du département.
Le
13 novembre (23 brumaire), Francastel et Turreau sollicitent, par
« courrier extraordinaire » leurs collègues de Nantes
pour la fourniture de souliers, et ce courrier a été retrouvé dans
les papiers de Carrier saisis lors de son procès, on peut donc
penser qu’il lui était destiné. Le même jour, il prend un autre
arrêté pour augmenter la solde des gardes nationaux et Boursault,
également un de ses collègues, le sollicite à propos d’un de ses
collaborateurs.
On
pourrait argumenter que Boursault ignorait l’absence de Carrier,
que les arrêtés ont pu être signés a posteriori, puisqu’il
s’agit de copies conformes, tandis que le « courrier
extraordinaire » n’est pas nominatif. Cela entraîne quand
même beaucoup de suppositions.
Il
est donc plus logique de penser que le représentant se trouve à
Nantes au moment où sa lettre est datée du 12 novembre.
Il
faut également admettre qu’Alfred Lallié, a eu tort de reprendre
la date donnée par la Revue rétrospective, 2 novembre, ainsi que le
lieu, Angers.
Il
y situe pourtant un séjour du représentant à cette époque. Il
écrit (Carrier
p 75),
que deux habitants de Nantes, Colas et Brillaud, venus rencontrer le
représentant, s’entendent répondre le 1 er novembre qu’il vient
de partir à Angers avec Francastel.
Il
revient à Nantes le 5, puisque, écrivant à ses collègues de
Rennes, (lettre manuscrite et signée dont nous avons l’original) il
indique : « à
Nantes le 15 eme jour du 2 mois de l’an deux »
et ; « Je
suis seul à Nantes, je ne puis me rendre à Rennes. J’arrive
d’Angers ».
Si
Carrier a sans doute bien effectué un voyage à Angers du 1 er au 4
ou 5 novembre, il n’a pas pu y écrire sa lettre pour les raisons
évoquées plus haut (décès de Léchelle...). En outre, son séjour
a dû être bref, peut-être même un aller et retour.
Francastel,
avec lequel il est parti le 1er
novembre, lui écrit en effet d’Angers le 3 novembre (le 3 de la 2
eme décade brumaire an 2), et lui adresse son courrier à Nantes.
Lors
de cette visite il a quand même eu le temps de signer un autre
courrier, daté lui aussi du 2 novembre. Le Moniteur du 7 novembre
1793, rendant compte d’un courrier adressé à la Convention
indique : « Vous
pouvez être tranquilles nous écrivent Turreau, Francastel, Carrier
et Bourbotte, d’Angers, le 12 brumaire, sur l’exécution des
mesures de votre arrêté... ». 12
brumaire :
2 novembre. Carrier a donc rencontré probablement ses collègues le
2.
Autre indication, mais qui pose problème, le bulletin analytique de
l’armée de l’Ouest (AD 85
SHD B 5 7) résume un conseil de guerre du 2 novembre -12
brumaire encore- « tenu par les représentants du peuple
Bourbotte, Merlin, Turreau, Carrier et Francastel » avec
toutefois une grande rature sur l’ensemble des noms. Le conseil
affecte 6 000 hommes à Haxo pour faire la guerre à Charette, nomme
Vimeux à la Loire Inférieure, décide de brûler 2 châteaux et
souhaite que les généraux réorganisent l’armée.
Conclusion ?
Il
apparaît certain que Carrier s’est déplacé brièvement de Nantes
à Angers entre le 30 octobre et le 5 novembre 1793, sans exclure des
haltes à Oudon et Ancenis où il s’est déjà rendu vers le 20/21
octobre pour accompagner l’armée.
Par
contre, un séjour autour du 12 novembre paraît plus problématique,
considérant les arrêtés pris et sa mission à Nantes où il est
désormais le seul représentant depuis le 5.
Il
a donc probablement commencé sa lettre à Angers, pour la continuer
et la terminer à Nantes.
Précision
de lieu qui n’entraîne pas de conséquences particulières sur
son contenu.
2-
Nantes, le 17 novembre 1793 (t
8 p 505)
Alphonse
Aulard signale un autre courrier de Carrier, adressé au Comité de
salut public dont, dit-il « l’original nous manque » et
sur lequel il s’interroge en bas de page.
Il
s’agit de celui du 17 novembre 1793, que le « Procès-verbal
de la Convention » a daté du 27 frimaire tandis que le
Moniteur lors de sa séance du 28 novembre le situe au 17 brumaire,
soit le 7 novembre. Carrier y annonce, incidemment, que 90 « de
ceux que nous désignons sous le nom de réfractaires […] ont tous
péri dans la rivière ». Mais
il indique également que Minée, dans un « discours très
éloquent » a abjuré sa qualité de prêtre.
Lallié
situe cette abjuration lors de l’inauguration de la nouvelle salle
(l’église Sainte
Croix) de la société populaire Vincent la Montagne, le 16 novembre
1793 (Guépin dans son « Histoire de Nantes » p 456-458
indique le 18).
La
date à retenir ne peut donc être le 7 novembre, de plus trop
éloignée de celle du Moniteur -le 28- qui la relate. Le courrier
est bien du 17 novembre 1793.
Cela
prouve que les erreurs de date ne sont pas exceptionnelles, le
nouveau calendrier républicain ne facilitant sans doute pas les
choses.
3-
Nantes, le 19 novembre 1793 (t
8 p 563)
Les
conséquences d’une probable erreur de date, sinon de contenu, sont
beaucoup plus importantes pour cette lettre, en particulier dans la
défense que certains auteurs présentent de l’activité de
Carrier.
Nous
y reviendrons dans un article sur la thèse de Gaston Martin
« Carrier, une mission à Nantes ».
Ce
courrier est daté du 19 novembre 1793 (29 brumaire) par Aulard, qui,
scrupuleusement, signale de nouveau en bas de page : « Nous
ne sommes pas sûr d’avoir bien lu cette date, qui, sur l’original,
se trouve recouverte d’une tâche d’encre ».
La
date la plus lisible sur ce document
(AD 85 AN W 493) est
le 9 brumaire, soit le 30 octobre. Mais, dès la première phrase,
Carrier écrit « au
moment où votre arrêté du 13 brumaire m’est parvenu... ».
Le
13 brumaire étant le 3 novembre, il est logique qu’Aulard ait
reporté la date au 29 brumaire, quinze jours après l’arrêté en
question mais il aurait pu la dater, avec toutes les réserves de
prudence, au 19 brumaire, 9 novembre, 6 jours après la publication
du document.
Pourtant,
les deux dates, 19 et 29 brumaire, -9 et 19 novembre- sont
incohérentes.
Le
représentant écrit le 19 novembre, date retenue par Aulard, que les
brigands « se
sont aussitôt portés à Fougères, de là à Ernée et Laval».
L’armée
« catholique et royale », après son échec à Granville
les 14 et 15 novembre, est le 18 à Pontorson, le 20 à Dol et le 23
à Antrain où elle fait subir une lourde défaite aux troupes
républicaines pour se diriger sur Fougères le 23 ou 24, puis Ernée
où elle entre le 25 et Laval le 27 novembre.
Carrier
ne peut donc pas connaître, le 19, une marche vers Laval le 27.
Il
serait donc plus logique que, s’étant trompé de mois, le courrier
soit du 9 frimaire – 29 novembre- ce qui lui laisse le temps -2
jours- d’être prévenu de la marche des rebelles, dans une région
en guerre. D’autant que ce n’est pas la première fois que le
représentant se trompe de mois. Pour sa lettre à la Convention du
21 novembre, reçue le 29 (t
8 p. 598) Alphonse
Aulard indique qu’elle a été « datée
par inadvertance du 1 er brumaire »
au lieu du 1 er frimaire.
La
solution vient peut-être du fait qu’il existe une autre lettre, du
29 novembre, résumée par Aulard (t 9 p 50) à partir du bulletin
analytique (AD
85 SHD AF II 268)
du Comité, qui date bien ce courrier du 9 frimaire -29 novembre. Or
certains des termes quasiment sont identiques :
le
19 novembre (datation Aulard) : « au
moment où votre arrêté du 13 brumaire m’est parvenu.. »
29
novembre (résumé bulletin et Aulard) : « Carrier
expose qu’au moment où l’arrêté du Comité de salut public lui
est parvenu... »
le
19 novembre : « à
la suite de l’action qui a eu lieu près de Dol.. »
29
novembre ; « à
la suite de l’action qui a eu lieu près de Dol.. »
le
19 novembre : « les
chevaux, les voitures, les ouvriers sont depuis longtemps en
réquisition... »
29
novembre : « Les
chevaux, les voitures, les ouvriers sont en réquisition... »
le
19 novembre :
« Vous me demandez par un arrêté la position actuelle de
Nantes en subsistances : elle est du jour au jour... »
29
novembre ; «
Par un arrêté, le Comité lui demande la position actuelle de
Nantes : elle est au jour le jour... »
etc...
Le
courrier, entièrement manuscrit et signé de Carrier, est donc ou
antidaté au 9 brumaire, ou comporte et c’est le plus
vraisemblable, une erreur de datation d’un mois brumaire/frimaire
comme celui du 21 novembre.
On
peut se demander toutefois si c’est bien ce courrier qui a servi au
résumé du bulletin analytique, s’il s’agit d’un brouillon non
envoyé -il a des ratures, des surcharges, la dernière page manque
et il a été séquestré avec l’ensemble de sa correspondance fin
novembre 1794- et donc s’il existe un autre courrier, aujourd’hui
perdu, dont nous n’avons que le résumé mais qui reprend
l’essentiel des informations du texte précédent, les deux étant
du 9 frimaire.
Selon
toute vraisemblance, il n’existe donc pas de courrier envoyé par
Carrier au Comité de salut public le 19 novembre 1793 – 9
brumaire- et il convient de se reporter à celui du 29.
Autres
courriers de Jean Baptiste Carrier dont la date est déduite,
incertaine ou soulève un doute :
-
7 octobre 1793, au CSP (t 7 p 286) date déduite par Aulard,
-
21 novembre 1793, à la Convention (t 8 p 598) voir plus haut, erreur
de mois
-
1 er janvier 1794, au CSP (t 10 p 20) reçu seulement le 26,
-
14 janvier 1794, au CSP, écrit avec Turreau et Bourbotte (t 10 p
249) reçu le 28 février,
-
29 janvier 1794, au CSP, (t 10 p 520) reçu le 14 février... après
sa lettre de rappel.