jeudi 27 novembre 2025

Interrogations sur quelques courriers de Jean Baptiste Carrier



Interrogations sur quelques courriers de Jean Baptiste Carrier


Plusieurs courriers de Jean Batiste Carrier, adressés au Comité de salut public, soulèvent des interrogations de date et/ou de lieu.
Nous allons en reprendre trois, suivant l’ordre qu’Alphonse Aulard leur a donné, dans le « Recueil des actes du Comité de salut public, avec la correspondance officielle des représentants en mission et le registre du conseil exécutif provisoire », soit 27 volumes publiés de 1889 à 1933.
Notons toutefois qu’il en existe d’autres (voir en fin d’article)


1- Angers, le 12 novembre 1793 ( t 8 p 37)
Cette lettre d’une douzaine de pages, la plus longue que Carrier ait écrite, mais dont nous n’avons pas l’original, est un véritable compte rendu de son activité depuis son arrivée à Nantes le 7 octobre. Les termes semblent pesés et les jugements motivés. Il relate pour le Comité son séjour aux armées du 8 au 19 octobre, donne son avis sur ses collègues et les généraux rencontrés, puis détaille quelques mesures qu’il a prises à Nantes.
Selon Aulard, Carrier écrit le 12 novembre -22 brumaire- puisque dans le corps de la lettre on lit : « ...nous attendons aujourd’hui, 22 brumaire ».
En bas de page, il note toutefois que la Revue rétrospective a commis « .. sans doute une faute d’impression » puisqu’elle date, au contraire, cette lettre du 2 eme jour de la 2 eme décade de l’an 2, soit, conclut-il, le 2 novembre 1793.
En effet, la Revue rétrospective ou bibliothèque historique, dans son édition de 1836 tome 5 page 108, indique pour ce courrier : « Angers, le 2 eme jour de la 2 eme décade de l’an 2 de la république française. Si le mois -brumaire- n’est pas précisé, la lettre est classée entre celle du 20 octobre et celle du 22 novembre, datées, elles en « ancien style » ou « style esclave » comme l’écrivaient parfois les révolutionnaires eux-mêmes peu familiarisés avec le nouveau calendrier, en particulier les décades, dont le décompte est assez malaisé. Nous en verrons quelques exemples plus loin.
Si la lettre en question est du mois de brumaire, c’est bien le 2 novembre dont il s’agit, date que reprendra Alfred Lallié, dans son ouvrage sur Carrier.
Si, par contre, elle est de frimaire, cela nous reporte au 22 novembre 1793, ce qui semble improbable. Certains évènements relatés, dont la prise de Cholet le 17 octobre, sont déjà bien lointains pour en informer le Comité avec pertinence. En outre la veille, 21 novembre, le représentant a déjà longuement rendu compte à la Convention de la fête de la raison organisée à Nantes.
Toutefois, si la date du 12 novembre 1793 est exacte, il est improbable qu’elle ait été écrite d’Angers.
Dans ce courrier Carrier évoque la mort de Léchelle, le général en chef de l’armée de l’Ouest : « Il s’était rendu à Nantes le 18 ou 19 brumaire ; il voulut me voir avant de mourir. A mon approche de son lit, il versa quelques larmes et me dit d'un ton mourant : Pourquoi avez-vous quitté l'armée? Pourquoi m'avez-vous abandonné ? Il expira le lendemain ».
Léchelle est décédé le 11 novembre 1793. Outre l’analogie christique, on peut noter que Carrier se trouve alors à Nantes auprès de lui.
Il aurait pu repartir aussitôt pour Angers, le 11 au soir ou le 12, afin de rédiger sa lettre.
Mais le lendemain « 22 eme jour du 2 eme mois de l’an 2 » soit le 12 novembre, un arrêté, signé de lui, est pris à Nantes pour nommer une quinzaine de citoyens au conseil du département.
Le 13 novembre (23 brumaire), Francastel et Turreau sollicitent, par « courrier extraordinaire » leurs collègues de Nantes pour la fourniture de souliers, et ce courrier a été retrouvé dans les papiers de Carrier saisis lors de son procès, on peut donc penser qu’il lui était destiné. Le même jour, il prend un autre arrêté pour augmenter la solde des gardes nationaux et Boursault, également un de ses collègues, le sollicite à propos d’un de ses collaborateurs.
On pourrait argumenter que Boursault ignorait l’absence de Carrier, que les arrêtés ont pu être signés a posteriori, puisqu’il s’agit de copies conformes, tandis que le « courrier extraordinaire » n’est pas nominatif. Cela entraîne quand même beaucoup de suppositions.
Il est donc plus logique de penser que le représentant se trouve à Nantes au moment où sa lettre est datée du 12 novembre.
Il faut également admettre qu’Alfred Lallié, a eu tort de reprendre la date donnée par la Revue rétrospective, 2 novembre, ainsi que le lieu, Angers.
Il y situe pourtant un séjour du représentant à cette époque. Il écrit (Carrier p 75), que deux habitants de Nantes, Colas et Brillaud, venus rencontrer le représentant, s’entendent répondre le 1 er novembre qu’il vient de partir à Angers avec Francastel.
Il revient à Nantes le 5, puisque, écrivant à ses collègues de Rennes, (lettre manuscrite et signée dont nous avons l’original) il indique : « à Nantes le 15 eme jour du 2 mois de l’an deux » et ; « Je suis seul à Nantes, je ne puis me rendre à Rennes. J’arrive d’Angers ».
Si Carrier a sans doute bien effectué un voyage à Angers du 1 er au 4 ou 5 novembre, il n’a pas pu y écrire sa lettre pour les raisons évoquées plus haut (décès de Léchelle...). En outre, son séjour a dû être bref, peut-être même un aller et retour.
Francastel, avec lequel il est parti le 1er novembre, lui écrit en effet d’Angers le 3 novembre (le 3 de la 2 eme décade brumaire an 2), et lui adresse son courrier à Nantes.
Lors de cette visite il a quand même eu le temps de signer un autre courrier, daté lui aussi du 2 novembre. Le Moniteur du 7 novembre 1793, rendant compte d’un courrier adressé à la Convention indique : « Vous pouvez être tranquilles nous écrivent Turreau, Francastel, Carrier et Bourbotte, d’Angers, le 12 brumaire, sur l’exécution des mesures de votre arrêté... ». 12 brumaire : 2 novembre. Carrier a donc rencontré probablement ses collègues le 2.
Autre indication, mais qui pose problème, le bulletin analytique de l’armée de l’Ouest (AD 85 SHD B 5 7) résume un conseil de guerre du 2 novembre -12 brumaire encore- « tenu par les représentants du peuple Bourbotte, Merlin, Turreau, Carrier et Francastel » avec toutefois une grande rature sur l’ensemble des noms. Le conseil affecte 6 000 hommes à Haxo pour faire la guerre à Charette, nomme Vimeux à la Loire Inférieure, décide de brûler 2 châteaux et souhaite que les généraux réorganisent l’armée.

Conclusion ?
Il apparaît certain que Carrier s’est déplacé brièvement de Nantes à Angers entre le 30 octobre et le 5 novembre 1793, sans exclure des haltes à Oudon et Ancenis où il s’est déjà rendu vers le 20/21 octobre pour accompagner l’armée.
Par contre, un séjour autour du 12 novembre paraît plus problématique, considérant les arrêtés pris et sa mission à Nantes où il est désormais le seul représentant depuis le 5.
Il a donc probablement commencé sa lettre à Angers, pour la continuer et la terminer à Nantes.
Précision de lieu qui n’entraîne pas de conséquences particulières sur son contenu.


2- Nantes, le 17 novembre 1793 (t 8 p 505)
Alphonse Aulard signale un autre courrier de Carrier, adressé au Comité de salut public dont, dit-il « l’original nous manque » et sur lequel il s’interroge en bas de page.
Il s’agit de celui du 17 novembre 1793, que le « Procès-verbal de la Convention » a daté du 27 frimaire tandis que le Moniteur lors de sa séance du 28 novembre le situe au 17 brumaire, soit le 7 novembre. Carrier y annonce, incidemment, que 90 « de ceux que nous désignons sous le nom de réfractaires […] ont tous péri dans la rivière ». Mais il indique également que Minée, dans un « discours très éloquent » a abjuré sa qualité de prêtre.
Lallié situe cette abjuration lors de l’inauguration de la nouvelle salle (l’église Sainte Croix) de la société populaire Vincent la Montagne, le 16 novembre 1793 (Guépin dans son « Histoire de Nantes » p 456-458 indique le 18).
La date à retenir ne peut donc être le 7 novembre, de plus trop éloignée de celle du Moniteur -le 28- qui la relate. Le courrier est bien du 17 novembre 1793.
Cela prouve que les erreurs de date ne sont pas exceptionnelles, le nouveau calendrier républicain ne facilitant sans doute pas les choses.



3- Nantes, le 19 novembre 1793 (t 8 p 563)
Les conséquences d’une probable erreur de date, sinon de contenu, sont beaucoup plus importantes pour cette lettre, en particulier dans la défense que certains auteurs présentent de l’activité de Carrier.
Nous y reviendrons dans un article sur la thèse de Gaston Martin « Carrier, une mission à Nantes ».
Ce courrier est daté du 19 novembre 1793 (29 brumaire) par Aulard, qui, scrupuleusement, signale de nouveau en bas de page : « Nous ne sommes pas sûr d’avoir bien lu cette date, qui, sur l’original, se trouve recouverte d’une tâche d’encre ».
La date la plus lisible sur ce document (AD 85 AN W 493) est le 9 brumaire, soit le 30 octobre. Mais, dès la première phrase, Carrier écrit « au moment où votre arrêté du 13 brumaire m’est parvenu... ».
Le 13 brumaire étant le 3 novembre, il est logique qu’Aulard ait reporté la date au 29 brumaire, quinze jours après l’arrêté en question mais il aurait pu la dater, avec toutes les réserves de prudence, au 19 brumaire, 9 novembre, 6 jours après la publication du document.
Pourtant, les deux dates, 19 et 29 brumaire, -9 et 19 novembre- sont incohérentes.
Le représentant écrit le 19 novembre, date retenue par Aulard, que les brigands « se sont aussitôt portés à Fougères, de là à Ernée et Laval».
L’armée « catholique et royale », après son échec à Granville les 14 et 15 novembre, est le 18 à Pontorson, le 20 à Dol et le 23 à Antrain où elle fait subir une lourde défaite aux troupes républicaines pour se diriger sur Fougères le 23 ou 24, puis Ernée où elle entre le 25 et Laval le 27 novembre.
Carrier ne peut donc pas connaître, le 19, une marche vers Laval le 27.
Il serait donc plus logique que, s’étant trompé de mois, le courrier soit du 9 frimaire – 29 novembre- ce qui lui laisse le temps -2 jours- d’être prévenu de la marche des rebelles, dans une région en guerre. D’autant que ce n’est pas la première fois que le représentant se trompe de mois. Pour sa lettre à la Convention du 21 novembre, reçue le 29 (t 8 p. 598) Alphonse Aulard indique qu’elle a été « datée par inadvertance du 1 er brumaire » au lieu du 1 er frimaire.

La solution vient peut-être du fait qu’il existe une autre lettre, du 29 novembre, résumée par Aulard (t 9 p 50) à partir du bulletin analytique (AD 85 SHD AF II 268) du Comité, qui date bien ce courrier du 9 frimaire -29 novembre. Or certains des termes quasiment sont identiques :
le 19 novembre (datation Aulard) : « au moment où votre arrêté du 13 brumaire m’est parvenu.. »
29 novembre (résumé bulletin et Aulard) : « Carrier expose qu’au moment où l’arrêté du Comité de salut public lui est parvenu... »
le 19 novembre : « à la suite de l’action qui a eu lieu près de Dol.. »
29 novembre ; « à la suite de l’action qui a eu lieu près de Dol.. »
le 19 novembre : « les chevaux, les voitures, les ouvriers sont depuis longtemps en réquisition... »
29 novembre : « Les chevaux, les voitures, les ouvriers sont en réquisition... »
le 19 novembre : « Vous me demandez par un arrêté la position actuelle de Nantes en subsistances : elle est du jour au jour... »
29 novembre ; «  Par un arrêté, le Comité lui demande la position actuelle de Nantes : elle est au jour le jour... »
etc...
Le courrier, entièrement manuscrit et signé de Carrier, est donc ou antidaté au 9 brumaire, ou comporte et c’est le plus vraisemblable, une erreur de datation d’un mois brumaire/frimaire comme celui du 21 novembre.
On peut se demander toutefois si c’est bien ce courrier qui a servi au résumé du bulletin analytique, s’il s’agit d’un brouillon non envoyé -il a des ratures, des surcharges, la dernière page manque et il a été séquestré avec l’ensemble de sa correspondance fin novembre 1794- et donc s’il existe un autre courrier, aujourd’hui perdu, dont nous n’avons que le résumé mais qui reprend l’essentiel des informations du texte précédent, les deux étant du 9 frimaire.
Selon toute vraisemblance, il n’existe donc pas de courrier envoyé par Carrier au Comité de salut public le 19 novembre 1793 – 9 brumaire- et il convient de se reporter à celui du 29.



Autres courriers de Jean Baptiste Carrier dont la date est déduite, incertaine ou soulève un doute :
- 7 octobre 1793, au CSP (t 7 p 286) date déduite par Aulard,
- 21 novembre 1793, à la Convention (t 8 p 598) voir plus haut, erreur de mois
- 1 er janvier 1794, au CSP (t 10 p 20) reçu seulement le 26,
- 14 janvier 1794, au CSP, écrit avec Turreau et Bourbotte (t 10 p 249) reçu le 28 février,
- 29 janvier 1794, au CSP, (t 10 p 520) reçu le 14 février... après sa lettre de rappel.






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