Il est couramment indiqué (voir Wikipédia et différents articles ou sites en ligne) que les 2 et 3 avril 1794 au château d’Aux, sur la commune actuelle de La Montagne, 209 hommes de Bouguenais furent fusillés après un procès expéditif et que sur les 210 hommes jugés, un seul donc, en réchappa, en raison de son jeune âge.
La particularité de ce massacre provient sans doute, pour une part, de l’un des protagonistes de cette histoire : Joseph Léopold Sigisbert Hugo, futur père du grand Victor, alors tout jeune capitaine de 20 ans affecté au 8 eme bataillon de l’Union du Bas-Rhin, caserné au camp de la Hibaudière, au château d’Aux.
Dans ses mémoires éditées en 1823, le (devenu) général Hugo décrit l’exécution de ces hommes, en portant toutefois leur nombre à 270. Il raconte également le procès des 22 femmes restant prisonnières et heureusement libérées par la commission militaire qu’il présidait.
Cet épisode de la guerre de Vendée a bien sûr été repris par de nombreux historiens.
Le premier, Louis Marie Prudhomme en 1797 dans le tome 6, p 273, de son « Histoire impartiale des fautes, des erreurs et des crimes commis pendant le révolution française » évoque plus de 800 individus fusillés au château d’Aux. Cette information figurait au procès de Carrier, dans les pièces remises à la Commission des 21, témoignage d’une certaine Romagné qui incriminait Carrier et Muscar, le commandant du camp de la Hibaudière (AD 85 AN AD XVIII C 251-4, p. 63/64) . Cretineau-Joly, en 1851, reprend ce chiffre de « 7 ou 800 cents » paysans de Bouguenais, assassinés « sans jugement, sans motifs ». (Histoire de la Vendée militaire, p 45)
Charles Dugast-Matifeux, secrétaire de la société académique de Nantes, en ramène toutefois le nombre à 209 dans son ouvrage de 1857 « Le château d’Aux en 1794 » avec, en sous titre : « rectification historique concernant la révolution », en réaction à un article d’Edmond Biré.
Edmond Biré (1829-1907), avocat, écrivain, critique littéraire et homme d’affaires nantais, reprenant les informations précédentes, écrivait en effet : « Quelques temps après la défaite des vendéens à Savenay, Carrier fit arrêter aux portes mêmes de Nantes, à Bouguenais, sept ou huit cent paysans. Conduits au château d’Aux, ces malheureux furent fusillés sans autre forme de procès ». (cité par Dugast-Matifeux).
Dugast-Matifeux ironise sur son compatriote « ce n’est pas un érudit de profession, un savant en us. Il a d’ailleurs trop la révolution en horreur pour l’avoir jamais étudiée...» etc.. Il écarte par ailleurs le chiffre de 270 donné par le général Hugo et publie une liste nominative des exécutés qui semble depuis servir de référence, y compris à Charles Bériat Saint-Prix en 1861 et à Alfred Lallié en 1896, dans « La justice révolutionnaire à Nantes et dans la Loire Inférieure ».
Lallié avait pourtant, dans un article paru dans la Revue de Bretagne et de Vendée en 1882, discuté ce chiffre, ainsi que MF Guilloux, en 1927 dans le Bulletin de la Société archéologique et historique de Nantes et de la Loire-inférieure.
Seul, l’abbé Branchereau dans son ouvrage de 1916 « La paroisse de Bouguenais pendant la révolution », présente en fin de volume une liste nominative de 243 (en fait 239, il y a quatre doublons) hommes et de femmes exécutés au château d’Aux en avril 1794. Il y rajoute 6 femmes condamnées à mort « au château d’Aux et à Nantes » sans précision de date, et 72 habitants, plus un inconnu, « victimes de l’insurrection vendéenne ».
On y trouve également les noms des 22 jeunes filles graciées par le tribunal présidé par Léopold Hugo et ceux des 48 femmes libérées le 12 juillet 1794 sur ordre des représentants Bô et Bourbotte ( 35 puisque 13 sont décédées avant leur libération).
Il indique enfin que 11 femmes dont on n’a pas retrouvé l’identité, ont été exécutées au château d’Aux le 28 mars 1794 sur ordre d’Arnould Muscar, commandant du camp.
L’ouvrage de Dugast-Matifeux s’ouvre sur une exergue de Lamartine : « On doit le dire à la décharge de la révolution : les proscriptions et les assassinats qui l’ensanglantèrent furent d’exécrables représailles contre d’exécrables assassinats ».
Avant de poursuivre il semble donc utile de rappeler les dernières évaluations du nombre de morts de la guerre de Vendée : environ 170 000 soit 22 à 23 % de la population concernée, et 30 000 soldats républicains pour des effectifs théoriques cumulés de 130 à 150 000 hommes. (Jacques Hussenet « Détruisez la Vendée » ed 2007, p 143 et 420).
Pour illustrer plus concrètement les pertes subies par la population dans des communes proches du château d’Aux, nous disposons du chiffre des populations de 1791 et 1796, puis 1820 :
Bouguenais : 3 792 et 2 376, puis 3 165
Bouaye : 1 124 et 834, puis 1 123
La Chevrolière : 1 640 et 1 022, puis 1 528
Pont Saint Martin : 1 541 et 982, puis 1 395
Port Saint Père : 1 645 et 758, puis 1 563
(J. Hussenet déjà cité)
La perte moyenne de population où sont compris bien sûr les réfugiés, de gré ou de force, pour ces communes est de l’ordre de 40 % entre 1791 et 1796 et de 10 % entre 1791 et 1820.
Pour revenir brièvement sur cette période il suffit de rappeler que l’insurrection essentiellement paysanne, qui couvait depuis des mois sinon un ou deux ans, a éclatée en mars 1793 à la suite de la levée des 300 000 hommes. Organisée ensuite en armée « catholique et royale » elle a connu des succès foudroyants, a fui en Bretagne dans la « virée de galerne », avant de revenir vers la Loire et d’être écrasée, fin décembre à Savenay puis début janvier 1794 à Noirmoutier.
Jean Baptise Carrier après un bref passage à Nantes, d’octobre 1793 à mi février 1794, a retrouvé son fauteuil de représentant à la Convention nationale et les colonnes infernales terminent en avril de la même année de mettre la « Vendée militaire » à feu et à sang.
Seuls Charette, Stofflet et quelques autres continuent une guérilla, au nom de Dieu et du roi, qui paraît sans issue mais qui agace les responsables jacobins au pouvoir.
Le camp de la Hibaudière tient la place stratégique du château d’Aux qui domine la fonderie d’Indret.
Chargé, outre les opérations militaires, des réquisitions pour alimenter Nantes, ses convois sont régulièrement attaqués aux environs de Bouguenais.
Les guides et volontaires locaux, dont Beilvert est le plus connu, sont chargés de renseigner les troupes, issues d’autres départements, dans leur chasse aux rebelles et aux approvisionnements.
C’est donc à la suite d’une vaste opération organisée le 31 mars 1794 et dirigée par Beilvert, « la terreur des brigands », qu’environ 300 habitants de Bouguenais en majorité des hommes, sont faits prisonniers et emmenés, de force, au château d’Aux pour y être jugés.
Léopold Hugo, dans ses mémoires (Mémoires du général Hugo p 36 à 41) donne les chiffres à plusieurs reprises, de 270 hommes présentés à la commission « Bignon ». Il écrit : « Je vis donc, après quelques questions de pure forme, condamner ces 270 infortunés à la peine terrible à laquelle ils s’attendaient : on les conduisit à la mort par petites troupes, ils la reçurent avec calme, à côté des fosses ouvertes pour les recevoir. J’ai beaucoup fait la guerre, j’ai parcouru de vastes champs de bataille, jamais rien ne m’a tant frappé que le massacre de ces victimes de l’opinion et du fanatisme ».
Dugast-Matifeux, dans son ouvrage pré-cité, indique page 5 qu’il y a erreur sur le nombre véritable et qu’il ne fut amené devant la commission militaire et jugé par elle que 210 hommes.
Pour en établir la liste il se réfère au « registre des jugements rendus par la Commission militaire révolutionnaire établie au Mans le 24 frimaire an 2 et finie le 1 er messidor de la même année, conservé au greffe du Tribunal de première instance de Nantes ».
Il donne le nom des hommes jugés par la commission, numérotés de 1 à 101 pour le 2 avril au matin, de 102 à 152 pour l’après midi et de 153 à 210 pour le 3 avril. Un seul est renvoyé en raison de son jeune âge, Jean Loirent, 13 ans, c’est le n° 46.
On arrive bien au total de 209 condamnés à mort pour ces deux journées, exécutés dans les 24 h avec confiscation des biens, selon la loi.
La commission dite « Bignon » du nom de son président, François Bignon, avait été sollicitée la veille par Pierre Anselme Garreau, le représentant du peuple qui a succédé à Carrier, pour venir juger sur place les détenus. Rappelé de toute urgence à Nantes, probablement pour le cas de Marie-Marguerite de Scépeaux, la veuve du général royaliste Bonchamps, Bignon laisse à Muscar, commandant temporaire du poste de la Hibaudière, le soin de former une commission militaire extraordinaire pour juger les 22 prisonnières restantes, enfermées dans la chapelle du château..
« Cet officier désirant les sauver me nomma, quoique bien jeune encore, pour présider ce tribunal, certain que je ne démentirais pas les sentiments d’humanité qu’il me connaissait » raconte Léopold Hugo.
Un vieil officier convainquit, à son grand soulagement, le tribunal militaire en proclamant « … à haute voix et sans sortir de son caractère : Je me suis fait militaire pour combattre des hommes et non pour assassiner des femmes. Je vote la mise en liberté des 22 prévenues et leur renvoi immédiat chez elles »
et Hugo conclut : « … bientôt une heureuse unanimité ouvrit les portes de la chapelle à ces enfants tous à genoux, à ce jeune troupeau qui aujourd’hui peut-être entretient encore de ses terreurs et de sa joie inespérée la nombreuse postérité qui doit en être issue ».
Le récit du général Hugo, tant pour les exécutions des 270 hommes que pour la libération des 22 jeunes filles, est bien sûr émouvant, mais qu’en est-il de la réalité ? Au moins de celle que l’on peut tenter d’approcher avec nos sources d’informations actuelles ?
Les sources
Les archives du greffe du tribunal d’instance de Nantes, pour cette période, ayant été versées aux archives départementales, nous disposons de plusieurs sources :
- Les registres de l’état-civil des communes proches du château d’Aux et celle de Nantes, mises en ligne et facilement accessibles.
Cependant la plupart des déclarations de décès ont été faites en 1795 ou 1796 parfois encore plus tard, y compris par des voisins ou des parents éloignés, et beaucoup de décès, particulièrement ceux des jeunes adultes, des enfants, des réfugiés, n’ont pas été inscrits.
Certains registres en outre ont été détruits, reconstitués, la conversion entre calendrier républicain et calendrier grégorien ne facilite pas l’exactitude des dates, les orthographes ainsi que le nom des lieux peuvent être aléatoires, et plusieurs officiers municipaux n’indiquent pas la cause des disparitions. On retrouve ainsi des indications de mort violente parfois longtemps après, lors d’actes ultérieurs, pour les remariages de veuves, ou des enfants, avec des jugements annexés, ou au hasard d’une recherche généalogique.
Malgré toute la bonne volonté, l’ampleur des vérifications, de 1710 à 1860 environ, pour s’assurer des naissances, mariages et décès enregistrés est une entreprise trop importante et sans doute disproportionnée pour être menée à bien de manière systématique et resterait de toutes façons inachevée considérant les absences d’enregistrement à l’état-cvil.
- Les archives départementales de Loire Atlantique :
le dossier avec la cote L 1508 comprend, en plus des notes et des courriers, trois listes, citées par Lallié et MF Guilloux, qui recoupent presque entièrement celle établie par Dugast-Matifeux et qu’on peut reprendre selon leur ordre chronologique :
Liste du 2 avril 1794 le matin :
C’est le « Procès Verbal du jugement des brigands de Bouguenay pris par les troupes de la république le 11 germinal de l’an 2 » (soit le 31 03 1794).
Elle comporte 104 noms. Ils sont numérotés de 1 à 99, avec un blanc laissé au n° 55, plus 6 noms sans numéro en fin de liste. Mais 6, sur l’ensemble, sont notés « renvoyés » et 2 « à la garde du camp », donc on a théoriquement 96 condamnés à mort
Liste du 2 avril 1794 après-midi :
Elle possède un en-tête un peu long que l’on va abréger :
« La commission militaire révolutionnaire […] s’est transportée au château d’Aux ce jourd’hui treize germinal deuxième année républicaine pour […] juger les individus qui s’y trouvent détenus ».
Elle comprend 56 noms dont 44 seulement sont numérotés. Douze hommes, non numérotés, ont la mention « renfermé » sous leur nom mais cette mention est rayée pour 9 d’entre eux. On peut supposer qu’ils ont été condamnés à mort après réflexion. Cela ferait donc 44+9, soit 53 exécutions.
Liste du 3 avril 1794 :
« Le 13 germinal de la deuxième année républicaine ont été amenés par devant la commission révolutionnaire établie au Mans et séante actuellement à Nantes … ».
Puisqu’en marge semble être écrit « porté au 14 germinal » on peut considérer qu’il s’agit des condamnés du 3 avril 1794. Elle comprend 59 noms numérotés de 1 à 59 et un seul est noté « renfermé », soit 58 condamnations à mort théoriques.
À la cote L 274 nous avons plusieurs courriers, demandant la libération d’habitants de Bouguenais détenus à Nantes, une liste de femmes et de jeunes hommes susceptibles d’être libérés le 12 juillet 1794, et une pétition du 2 février 1795 signée par 15 habitants répertoriant ceux « qui ont été pris par la troupe du château d’Aux sous prétexte de leur donner des billets de civisme et qui après y être arrivés ont été fusillés et mis à mort ».
La cote L 1559 Tribunal criminel militaire concerne les deux procès des guides du château d’Aux, procès qui feront l’objet d’une étude ultérieure.
Le premier en mai/juillet 1794, qui se solde par un acquittement, concerne François Albran, François Guilbaudeau et Joseph Beilvert. On y trouve la description de plusieurs délits et crimes commis dans la région autour du château d’Aux.
Le second procès, de mars à octobre 1795, se termine lui aussi par un acquittement, et ne concerne plus que François Guilbaudeau et Joseph Beilvert, François Albran ayant été retrouvé assassiné à Bouguenais. Un document annexé, intitulé « Liberté Égalité Fraternité Justice Probité Humanité- Déclarations des particuliers de la commune de Bouguenais qui ont eu de leur famille fusillé soit dans leur maison ou à leur travail ou au château d’Aux, savoir le 5 brumaire » recense plus d’une centaine d’exécutions au château d’Aux, qui semblent par le mode opératoire décrit, se rapporter à l’arrestation générale du 31 03 1794.
- Les livres, articles ou mémoires
sans prétendre être exhaustif :
« La paroisse de Bouguenais pendant la révolution » de l’abbé JB Branchereau dont nous avons déjà parlé (Res Universis-Paris, réédition de 1993). Ce livre offre une description de la vie paroissiale et locale à Bouguenais pendant cette période.
Les nombreux articles ou livres d’Alfred Lallié, historien de la révolution dans notre département restent incontournables, essentiellement :
« La justice révolutionnaire à Nantes et dans la Loire Inférieure » (BNF)
« Le château d’Aux » dans la Revue de Bretagne et de Vendée, ed 1882. (BNF)
Nous avons également plusieurs ouvrages qui traitent indirectement de notre sujet :
« Beilvert de Bouaye » publié à la Sté académique de Nantes et de L-I, 1912 par A. Velasque (BNF)
« Mémoires sur la guerre de Vendée », ed Elibron Classics, de Lucas de la Championnière, originaire de Brains qui fut un des lieutenant de Charette.
Deux articles de MF Guilloux sur le château d’Aux en 1927 dans le bulletin de la Société d’histoire et d’archéologie de Nantes et de Loire Atlantique (BNF).
« Les mémoires du général Hugo » (E-book)
- Les archives départementales de Vendée,
ont mis en ligne de nombreuses archives militaires de la guerre de Vendée, conservées au service historique de la Défense et aux Archives nationales, (procès de Carrier et du Comité révolutionnaire de Nantes par exemple) ainsi que le « Dictionnaire des contemporains de la guerre de Vendée » répertoriant près de 30 000 noms collectés par Jean Rigaudeau.
Rectification historique concernant la révolution
Dugast-Matifeux affirme dans son ouvrage sur le château d’Aux, page 5, en parlant des exécutions sans jugement évoquées par ses prédécesseurs : « il n’y en eût réellement que 209 qui furent fusillés, il est vrai, mais après avoir été jugés, non par l’ordre de Carrier […] mais par celui des chefs militaires qui les avaient arrêtés en représailles d’horribles assassinats commis précédemment, non quelques temps après la bataille de Savenay, en décembre 1793, mais les 13 et 14 germinal an 2.. »
Or, ce chiffre de 209 doit être remis en question, que ce soit pour les 2 et 3 avril 1794, ou à d’autres dates, de 1793 à 1795, et il apparaît que les exécutions sommaires, sans jugement, furent nombreuses.
Quant aux « représailles », je laisse à chacun le soin de déterminer dans quel sens elle le furent.
Il conviendrait, en outre, afin d’élargir le propos, de parler des habitants tués sur place, guillotinés, noyés, décédés en prison, à l’hôpital, ou lors des combats, avant ou après la « bataille de Savenay », non seulement à Bouguenais mais également dans les communes parcourues par les détachements du camp du château d’Aux : Bouaye, Pont Saint Martin, Port Saint Père, La Chevrolière et parfois au-delà.
Une étude des militaires morts au combat ou des suites de leurs blessures, de maladie ou autre serait également à entreprendre.
La chose est malaisée. L’état-civil de Nantes n’indique pas le lieu d’affectation et très rarement la cause du décès des militaires dans les différents hôpitaux de la ville. L’indication de leur grade, de leur régiment est toutefois précisée assez fréquemment.
En reprenant les chiffres donnés par Jacques Hussenet on peut penser que la proportion de 20 % environ de militaires décédés pourrait être appliquée, là comme ailleurs, pour le camp de la Hibaudière, ou 17 % environ par rapport à la population concernée (mais laquelle ?)
Avis donc aux amateurs...
Concernant la population civile, avec toute l’ambiguïté de ce terme puisqu’il s’agit d’une guérilla, il est bien sûr impossible de déterminer le nombre exact de ceux et celles qui sont décédés de maladie, de malnutrition, d’accident, d’épuisement, de blessures, de « chagrin », si aucune mention ne fait référence à la guerre de Vendée dans leur acte de décès, mais nous savons que pour la période considérée, de 1793 à 1795, il y eut de nombreux pillages et réquisitions qui paraissent systématiques à l‘égard des suspects, des incendies, des maltraitances, des viols, des déplacements forcés et un encadrement politique de la population.
La Convention nationale avait décidé en effet, dès le 1 er août 1793, sous la présidence de Danton, de vider les territoires insurgés des habitants rebelles, de confisquer leurs biens, récoltes et bestiaux, et à l’occasion de brûler leurs demeures, les bois et les taillis où ils pouvaient se réfugier.
Ne parler « que » du massacre du château d’Aux c’est donc réduire la guerre civile à un seul épisode, dramatique certes, mais relevant éventuellement des dures lois de la guerre, et d’une opération limitée, dans le temps, et par le nombre.
Une première évaluation « brute » donne le chiffre de 370 morts recensés pour faits de guerre à Bouguenais entre le 17 avril 1793 et le 30 novembre 1795, mais seulement 60 % (228) ont un acte d’état-civil qui le justifie. Pour mémoire Jacques Hussenet en fin de son ouvrage « Détruisez la Vendée » donne le chiffre de 322 tiré de ceux donnés par l’abbé JB Branchereau.
370 morts, c’est 10 % environ de la population de Bouguenais en 1791. Nous sommes donc loin des chiffres globaux avancés pour la guerre de Vendée (22 à 23 %). Mais la commune n’a pas connu le passage des colonnes infernales de Turreau, rappelons également que sa perte de population entre 1791 et 1820, soit une génération après, est encore de 627 habitants et surtout que bien des actes d’état-civil font défaut.
Ceci étant précisé, reprenons les listes déposées aux AD 44 et celle de Charles Dugast-Matifeux
Une première difficulté vient de l’orthographe des noms, qui varie souvent, et de beaucoup, entre les différents listes ou documents et qui doit être vérifiée avec la réalité de l’état-civil. Ensuite, il semble que le document unique auquel fasse référence Dugast-Matifeux n’existe plus. Nous aurions alors affaire à des brouillons, copies ou notes, versés aux archives départementales.
Nous avons un total de 207 condamnés à mort aux AD 44 (voir ci-dessus) et 209 pour Charles Dugast-Matifeux.
Le compte est presque bon, mais Charles Dugast-Matifeux donne pour exécutés des hommes qui ne le sont pas et il en oublie d’autres.
De plus, fréquemment, l’orthographe des noms est inexact et l’âge et/ou le domicile inexistants. (afin de ne pas alourdir le récit, le détail des explications, et les références, sont données dans une annexe)
En effet Dugast-Matifeux donne pour exécutés, (en reprenant sa numérotation) :
41- Jean Herdot, âgé de 15 ans,
42- Jean Babonneau, âgé de 18 ans.
Mais on retrouve ces 2 jeunes gens dans un rapport du Conseil du représentant, présidé par Lenoir (de la commission du même nom probablement) le 30 juin 1794 demandant leur libération . Ils sont d’ailleurs notés « renvoyés » dans les listes des AD 44.
43 - François Touzé, âgé de 18 ans,
Dans la liste des AD 44, il n’a que 16 ans et il est noté « renvoyé » à deux reprises.
76 - Jacques Boudot,
79 - Pierre Boudot,
92 - Jacques Baudru
Les trois font a priori double emploi, y compris dans les listes des AD 44. On les retrouve aux n° 102, 103 et 100, de Dugast-Matifeux,
93 - Nicolas Bertaud 72 ans,
il est décédé peu après sa libération le 19 octobre 1794 et la liste des AD 44 le donne également pour « renvoyé »,
101 – Pierre Orieux,
dans un courrier du 24 juillet 1794 adressé à Jean Baptiste Bô, représentant du peuple, il demande, avec d’autres, sa libération.
111 - Pierre Dillon, 17 ans,
le nom, peu lisible, est non Dillon mais Guillou. Noté « renfermé » aux AD 44 il est cité également dans le courrier du 24 juillet.
151 -Pierre Liotté, 25 ans.
Pierre Lioté est noté « renfermé » aux AD 44, et un Pierre Léauté, (c’est bien le même) 26 ans, est le seul à signer le courrier pré-cité du 24 juillet.
10 condamnés à mort seraient donc à retrancher de la liste de Dugast-Matifeux.
Par contre il n’a pas repris 5 des noms qui figurent dans les listes déposées aux AD 44 avec des condamnations à mort le 2 avril :
- Michel Burot (Bureau) des Boges (Bauches du Dézert).
- Pierre Bichon âgé de 58 ans, « laboureur aux village des Quois » (des Couëts)
- Alexis Albert âgé de 25 ans, meunier.
- Pierre Mocquard âgé de 68 ans,
- Jean Guérin âgé de 42 ans,
Sauf pour Jean Guérin, (acte de décès non trouvé) les actes d’état-civil indiquent bien la date et le lieu précis du décès.
La liste corrigée de Charles Dugast-Matifeux serait donc de 209-10 cités à tort +5 non répertoriés soit 204 exécutés les 2 et 3 avril 1794.
Le compte pourtant, n’y est toujours pas. On retrouve 11 décès supplémentaires d’habitants de Bouguenais, au château d’Aux, le 2 ou 3 avril 1794, sans jugement connu :
1) dans les registres de l’état-civil de Bouguenais :
- Chiron Pierre, 42 ans, laboureur,
- Guemard Pierre, 40 ans, laboureur,
- Hilaireau Mathurin, 33 ans, laboureur
- Joux François, 37 ans, laboureur,
- Leroy Jacques François, 38 ans, batelier, .
- Noize Honoré, 60ans, laboureur
- Villatel (ou Villate) François, 61 ans, charpentier, marchand, puis aubergiste
- Roberteau Michel, 17 ans, laboureur
2) cités lors du procès des guides du château d’Aux :
- Bessac Pierre, 65 ans, laboureur.
- Cassard Joseph, 74 ans environ,
- Viaud René, (64 ans, âge sous réserves)
Soit 215 fusillés au château d’Aux les 2 et 3 avril 1794, plus 11 « renvoyés » ou « renfermés », originaires de Bouguenais.
Il ne serait pas, cependant, tout à fait conforme à la vérité de s’arrêter à ce chiffre.
On découvre en effet des tués à des dates proches, au château d’Aux, venant d’autres communes, essentiellement à Bouaye peut-être parce que Beilvert et Guilbaudeau, guides affectés à la garnison, en étaient originaires et qu’ils connaissaient les « suspects ».
Une loi du 2 avril 1795 demandait aux communes dont les registres avaient été détruits ou perdus de refaire leur état-civil. Bouaye a donc un registre « reconstitué ». Mauvaise volonté où souvenirs imprécis des témoins beaucoup d’actes de décès indiquent une date générale « durant la guerre de Vendée », et le lieu du décès précis, en l’occurrence le château d’Aux pour ce qui nous intéresse, ne se retrouve, pour certains, que dans un acte de mariage (enfant ou veuve) ultérieur.
Le registre d’état-civil original, très abîmé, mis en ligne par les AD 44 permet quelques confirmations.
Nous avons ainsi 9 tués, dont la date de décès se rapproche des 2 et 3 avril 1794, compte-tenu de leur arrestation et de leur conduite au château d’Aux entre le 23 et le 28 mars précédent :
- Bichon Julien, 27 ans,
- Blineau Michel, 43 ans, marchand de moutons
- Bouhier Jean, 52 ans,
- Allaire René, 43 ans
- Chocteau Pierre, 50 ans, laboureur
- Guéhet (ou Duchet, Guchet), 46 ans, laboureur
- Cheminan François, 32 ans, jardinier, tonnelier
- Soreau Pierre, 32 ans
- Vinson Pierre, 36 ans
A Pont Saint Martin le registre de reconstitution est plus précis et s’il indique pour les seules journées des 19 et 20 mars 1794 une cinquantaine d’exécutions, sur place ou au camp de la Sorinière, on n’y relève qu’un seul tué au château d’Aux « pris au mois d’avril 1794 » :
- Hervouet Jean, 32 ans
Nous arrivons au total de 225 tués au château d’Aux entre fin mars et avril 1794.
Ne sont pas inclus 9 tués au château d’Aux répertoriés par l’abbé Branchereau « en avril 1794 » que rien, pour le moment, ne vient confirmer :
- Mustière Pierre, 25 ans
- Bertrand Mathurin, 76 ans
-Mocquard Sébastien, 50 ans
- Noizé René, 65 ans
- Lerat Mathurin, 34 ans
- Bessac Pierre, 27 ans
- Fortuneau François, 76 ans
- Touzé Augustin, 26 ans
Nous sommes donc un peu au-delà du chiffre avancé par Charles Dugast-Matifeux mais bien en-deça de celui de Léopold Hugo.
On ne peut pourtant pas accuser le jeune capitaine d’exagération par sympathie royaliste. Il signait Brutus Hugo en 1794, pratique courante à l’époque parmi les républicains, et lorsqu’il écrit « victimes de l’opinion et du fanatisme » pour les 270 fusillés, on peut penser qu’il parle du fanatisme pour les insurgés.
Son chiffre est d’ailleurs, à y regarder de près, peut-être aussi crédible que celui avancé par Dugast-Matifeux compte tenu des manques de l’état-civil et des approximations relevées dans la liste des « 209 fusillés après jugement » du secrétaire de la société académique de Nantes.
A charge, dans un courrier du 24 juillet 1795, un habitant de Bouguenais écrit au « Citoyen représentant » pour demande la libération de son frère Pierre Soulat, de la Bouguinière, enfermé au Bouffay depuis la veille (extraits) « Le calme était rétabli dans la commune de Bouguenais […] lorsque la garnison du château d’Aux […] est venue jeter l’épouvante. […] sans doute il fut forcé d’aller grossir l’armée de la Vendée lorsque la terreur portée dans tous nos villages […] exposait à une mort certaine tous ceux qu’on trouvait dans leurs champs et dans leurs foyers (plus de 400 furent fusillés pris de cette manière) » (AD 44 L 274). Même si le nombre de 400 est exagéré ce courrier reste un indice de l’ampleur des exécutions effectuées et des chiffres qui circulaient à l’époque.
Beilvert lui-même lors de son second procès, interrogé par Garreau, représentant du peuple, indique « qu’il fut saisi plusieurs centaines d’hommes et de femmes, qui furent liés, et conduits au château d’Aux ».
A décharge, lors de ce même procès, une déposition des notables de Bouguenais se réfère à la commission militaire « qui était au château d’aux lors de la fusillade de plus de deux cents habitants de la commune de Bouguenais ». Ils ne citent bien sûr, que leur commune, la commission « Bignon » et la période de début avril.
Faut-il d’ailleurs rajouter à ces 225 tués les femmes puisque Léopold Hugo ne parle que d’hommes fusillés ?
On retrouve en effet 8 femmes exécutées au château d’Aux le 28 mars ou début avril 1794 :
de Bouaye :
- Allaire Michelle, 37 ans
- Blanchet Marie Madeleine, 44 ans, épouse du Pierre Chocteau, cité plus haut.
de Bouguenais :
- Rousseau Jeanne, 30 ans, épouse de Pierre Gravouille,
- Gabory Marie Jeanne 45 ans, épouse d’André Moisdon, lui-même fusillé le 2 avril
- Biclet Anne, 53 ans, épouse de Pierre Robert, fusillé également le 2 avril
- Lucas Anne, 46 ans, veuve de Mathurin Lebreton,
- Biton Marie, 61 ans fusillée avec son mari, Julien Touzé
- Douaud Marguerite, 55 ans, épouse de Maurice Onillon tué le 21 mars.
Charles Dugast-Matifeux fait allusion semble t-il à cet évènement. Il rapporte un courrier de Muscar, commandant temporaire du camp de la Hibaudière, au général Vimeux, le 27 mars 1794, pour souligner l’humanité de cet officier :
« … J’ai dans les prisons douze brigandes condamnées à mort. Il y a dans ce nombre des mères qui ont des enfants à la mamelle ; c’est ce qui m’a fait suspendre l’exécution de leur jugement. […] Il est cependant urgent de tirer ces femmes de cette cruelle situation... »
Dugast-Matifeux ajoute que d’après Jean-Julien Savary (seule source disponible) : « Muscar parvint à sauver ces malheureuses femmes, condamnées par nous ne savons quel tribunal, ni à quelle époque ».
Muscar ne sauva pas ces « malheureuses femmes ». En l’absence de réponse des représentants du peuple auxquels il s’était adressé en premier puis du général Vimeux, son supérieur, il en fit fusiller 10 le lendemain, après avoir réuni un conseil militaire.
Le 28 mars il écrit en effet à la commission militaire qu’il vient « ...de faire fusiller 10 brigandes, une onzième, nommée Jeanne Bonneau, tout aussi coupable que les autres étant femme d’un brigand et complice de son mari, est enceinte de 5 mois. Le conseil militaire assemblé pour la juger, craignant d’offenser la nature en suivant le cours rigoureux de la justice, a cru devoir la renvoyer à votre tribunal... » (cité par Alfred Lallié, dans Revue de Bretagne et de Vendée, p 328, ed 1882).
Que les 8 femmes citées ci-dessus soient comprises ou non dans les 10 « brigandes » fusillées le 28 mars, elles l’ont été au château d’Aux, fin mars/début avril.
Un conseil militaire local, du château d’Aux, se réunissait en effet pour juger les cas « ordinaires » et s’en remettait à sa hiérarchie pour les autres.
Ainsi, dans un courrier du 8 décembre 1793, adressé à la commission militaire de Nantes, Muscar, annonce avoir capturé lors d’une sortie nocturne 10 « brigands » dont 1 déserteur de l’armée de Mayence, Joseph Dubois.
Il envoie ce dernier à la commission qui « parviendra sans doute à lui arracher le masque hypocrite dont il paraît couvrir sa scélératesse... ». Pour les autres ils sont : « jugés et expédiés. […] Il faut débarrasser le sol de la liberté de ces monstres par les moyens les plus expéditifs... », -Carrier avait à peu près la même formule - plus loin il ajoute « Je ne vous enverrai que ceux dont les crimes ne sont pas de nos pouvoirs ». (AD 44 L 1513).
Le même jour, 8 décembre, à la même commission, il indique chercher des renseignements sur 4 « coquins » (qui seront condamnés à mort par la commission Lenoir également le 8, voir Lallié p. 159). En bas de page il écrit : « huit brigands ont été fusillés hier et deux dans un moment ». (AD 44 L 1508 -commissions militaires du château d’Aux et d’Indret – jugements 16 avril 1793 – floréal an 2).
Le 28 décembre suivant, Muscar intervient : « en patriote sensible et humain » pour deux soldats emprisonnés à Nantes mais le dernier paragraphe de sa lettre montre les limites de sa sensibilité « … encore sept brigands de fusillés hier. Tous les jours ce jeu patriotique va se reproduire bien décidé à donner la chasse à mort à tous ceux qui infectent encore ces environs. J’espère qu’aucun n’échappera à mon activité et à ma haine implacable contre tous ceux qui osent fouler aux pieds les lois saintes de la république... » (AD 44 L 1513).
Le 8 eme bataillon du Bas-Rhin étant resté jusque vers la fin 1794 au château d’Aux selon MF Guilloux, on n’ose imaginer le nombre potentiel de victimes du « jeu patriotique » qu’Arnould Muscar pratiquait.
On ne retrouve, en effet, pour la période de fin 1793 à mai 1794, que 5 exécutions d’habitants de Bouguenais et 6 de Bouaye (1 jugement, 10 acte de décès) au château d’Aux.
Nous arrivons alors à :
- 261 exécutions « documentées », dont
- 253 entre le 23 décembre 1793 (bataille de Savenay) et mai 1794, chiffre sensiblement éloigné de celui avancé par Charles Dugast-Matifeux pour la période qui lui sert de référence.
On peut admettre que cela soit un minimum et que le nombre probable de victimes soit beaucoup plus élevé.
Rappelons enfin qu’il y eu, et uniquement pour Bouguenais, d’autres morts causés par la guerre de Vendée :
- 9 guillotinés, fusillés ou noyés (8 à Nantes, 1 au Boupère)
- 15 tués au combat (dont 1 côté républicain)
- 41 morts en prison ou à l’hôpital (à Nantes).
- 7 tués par des inconnus (dont 2 probablement par des rebelles : François Albran, guide au château d’Aux et François Assailly, selon l’abbé Branchereau)
- 52 exécutés sur place ou localement,
(dont 48 femmes et 2 jeunes enfants pour l’ensemble).
Et :
- 11 hommes tués par les rebelles, mais seuls trois l’ont été avant avril 1794.
Seuls 84 de ces morts ont un acte de décès (à Bouguenais ou à Nantes) ; soit 62 %. L’information pour les autres provient : des différentes listes déposées aux AD 44 (21), du dictionnaire des Vendéens aux AD 85 (9), de l’abbé Branchereau (14), d’A. Lallié (3), d’un jugement (4).
Il aurait été souhaitable qu’un érudit comme Charles Dugast-Matifeux fasse état, même brièvement, de tous ces morts de Bouguenais -135 quand même- dans sa « rectification historique concernant la révolution ».
Conclusion
Il reste des vérifications d’état-civil à faire pour les hommes et les femmes cités dans ce document.
En outre il existe des décès qui nous échappent encore, et des erreurs.
Mais revenons un instant sur les « quelques questions de pure forme » posées aux accusés selon le père de Victor Hugo et « à la peine terrible à laquelle ils s’attendaient ».
Les guides, c’était leur rôle essentiel, connaissaient sans doute une partie des rebelles ou ceux susceptibles de l’être.
François Albran, dont on parlera davantage dans les procès des guides du château d’Aux, était un ancien « cavalier de Charette » qui a participé aux gardes des « brigands » dans son village de la Motte et aux processions religieuses nocturnes.
Beilvert, Guilbaudeau, disposaient de volontaires ou sympathisants locaux pour les aider à la désignation des hommes ayant participé à l’insurrection et des femmes soupçonnées d’être, au mieux, des espionnes.
Il apparaît, à la lecture de la première liste du 2 avril au matin, la plus explicite, que beaucoup de ces accusés avouent avoir monté la garde avec les « brigands », une fois, deux fois, avoir été à l’attaque de Nantes ou du château d’Aux, des Sorinières, avoir eu un fusil, être resté « 8 jours au Port Saint Père avec les brigands » etc.. . L’un, « ne se souvient plus s’il a été aux brigands », l’autre, un aveugle, admet avoir travaillé pour les brigands, mais sans arme, un troisième était malade, ce qui ne les empêchera pas d’être fusillés, comme les autres.
Peur du mensonge, naïveté, défi, réponse soufflée par le tribunal ?
Difficile à savoir. Mais l’insurrection était généralisée, populaire, et Bouguenais réputée pour être une paroisse « rebelle » ou « royaliste ».
La commission Bignon a donc été impitoyable, comme à son habitude.
Si elle s’appuie éventuellement sur le témoignage de soldats, de notables municipaux (qui, soupçonnés de complaisance, seront mis en prison le lendemain), et de « patriotes », tel Beilvert ou Bachelier, elle décide de la vie et de la mort, en seulement 4 ou 5 minutes en moyenne (157 accusés en une seule journée -base de 10 h - le 2 avril), la relaxe est rare et, dans le doute, la condamnation à mort est prononcée : 19 mentions « renvoyé » ou « renfermé » ont été raturées.
La sentence est exécutée dans les 24 h, sur place, et entraîne la confiscation des biens. On verra donc, peu de jours après les jugements, François Bachelier, commissaire au château d’Aux, accompagné de Joseph Beilvert et de sa troupe, aller saisir les maigres biens restant aux veuves et aux orphelins des « brigands ».
La commission, retournera en urgence à Nantes comme on l’a dit, laissant au capitaine Hugo le soin de juger les 22 jeunes filles de Bouguenais enfermées dans la chapelle du château d’Aux.
Conduites en réalité en prison à Nantes, au Sanitat, l’ordre de leur libération n’est intervenu que le 12 juillet 1794 sur décision de Bô et Bourbotte, les représentants du peuple en poste à Nantes.
Nous savons qu’une dizaine d’entre elles se sont mariées par la suite et chacune a peut-être entretenu « de ses terreurs et de sa joie inespérée la nombreuse postérité qui doit en être issue » pour reprendre l’expression de Léopold Hugo.
Nous ignorons, pour le moment, le destin des autres.
Excepté pour Marie Couprie, une jeune domestique de 26 ans. Elle est décédée en prison quelques semaine avant sa libération.
Son père, Hyacinthe, a été fusillé au château d’Aux, son frère Pierre, en réquisition, a été tué par les rebelles, son frère François par les républicains, sa sœur Angélique, emprisonnée comme elle au Sanitat, et sa mère est décédée peu de temps après (de chagrin?) en janvier 1795.