Les procès des guides du château d’Aux
1794 et 1795
Le 6 mai 1794 trois guides du camp républicain de la Hibaudière, près de Bouguenais, sont arrêtés au château d’Aux où la garnison est cantonnée, et conduits à Nantes pour être emprisonnés au Bouffay.
Il s’agit de Joseph Beilvert, 38 ans, originaire de Bouaye, un marchand de vin, de François Guilbaudeau, 28 ans, maçon, également de Bouaye et de François Albran, cultivateur, 40 ans, célibataire, originaire de Bouguenais.
A cette période de la révolution, le Comité de salut public semble avoir triomphé de ses ennemis. Les royalistes, les modérés, les girondins, les fédéralistes, les hébertistes, les dantonistes, tous ses opposants déclarés ont été éliminés. Les armées françaises ont repris l’ascendant en Italie, en Catalogne, et se maintiennent dans le Nord. Dans l’Ouest, Carrier, son travail accompli, est retourné siéger à la Convention et les colonnes infernales sont à l’arrêt.
Localement, c’est également une période charnière. Le comité révolutionnaire nantais, dès le départ du député du Cantal a réglé ses comptes avec ses concurrents.
Lamberty et Fouquet, les hommes à tout faire du représentant, y compris le pire, ont été arrêtés le 16 février puis exécutés le 14 avril pour avoir soustrait des femmes contre-révolutionnaires à la justice.
Mais le Comité nantais lui-même est affaibli. Ses deux meneurs, Goullin et Chaux, rentrent d’un long séjour à Paris le 2 mai et pendant leur absence, un adversaire inattendu a surgi.
L’ancien président du tribunal révolutionnaire, destitué par Carrier lors de son départ, Phelippes Tronjolly (Phelippes de Coatgourden de Tronjolly), rétabli accusateur public à la suite d’un empêchement, a reçu le soutien de la société populaire Vincent la Montagne, la base militante des jacobins.
Après avoir poussé le district à demander au Comité révolutionnaire l’état de sa comptabilité, inexistante, il lui adresse, le 2 avril 1794 un mémoire dénonçant pour la première fois des noyades et des exécutions illégales.
Pire, le 25 avril, il adresse au Comité de sûreté générale à Paris la liste des 129 prisonniers remis à Goullin et Grandmaison « dont aucun n’était condamné à mort » et qui furent noyés mi décembre « d’une manière dont je vous épargnerai les détails ».
Est-il temps, enfin, d’insister sur la vertu « sans laquelle la terreur est funeste » ainsi que l’affirme Robespierre ?
Peut-être… le district de Nantes a donc fait parvenir le 5 puis le 7 mai au tribunal militaire siégeant dans l’ancien couvent des Pénitentes, des dénonciations citant nommément Beilvert, Albran et Guilbaudeau. Elles ont été produites et certifiées par des officiers municipaux de Bouguenais, républicains modérés, revenus chez eux après un prudent refuge à Nantes lors de l’insurrection vendéenne.
La rapidité des arrestations opérées le 6 mai, lendemain du premier courrier envoyé au tribunal militaire, indiquerait que la décision a été prise un peu en amont, certes à l’initiative des élus de Bouguenais mais peut être également avec l’aval de Prieur de la Marne, membre du Comité de salut public, réputé d’une stricte probité, qui a remplacé Carrier à Nantes, ou de Phelippes Tronjolly lui-même, peut-être de républicains locaux influents.
Quoiqu’il en soit, d’autres dénonciations, d’autres pièces, à charge et à décharge, viendront bientôt alourdir le dossier d’accusation des 3 auxiliaires de l’armée.
Le premier procès se déroulera de mai à juillet 1794, et le second, suite à de nouvelles plaintes, de février à octobre 1795.
S’agissant de militaires, les procédures judiciaires, même rapides, sont rigoureuses, sinon tatillonnes. Les accusés bénéficient des garanties de la Loi, contrairement aux « brigands », aux ennemis de la République, décrétés « hors de la loi » donc laissés aux juridictions d’exception, jugés et exécutés le plus souvent dans les 24 heures, avec confiscation des biens.
Ces deux procès contribuent à illustrer -ou à essayer d’imaginer- ce que fut la guerre de Vendée pour les populations proches du château d’Aux, essentiellement par les nombreux témoignages recueillis, mais aussi les réponses des accusés et enfin les jugement rendus.
Pour comprendre l’impact de ce conflit dans les communes qui nous intéressent, nous avons quelques chiffres :
à Bouguenais on dénombre environ 370 morts (fusillés, tués sur place ou en prison, disparus etc...) causés par la guerre sur 3 792 habitants (chiffre 1791), soit à peine 10 % de la population,
à Pont Saint Martin, 213 morts de la guerre de Vendée sur 1 541 habitants sont répertoriés, soit 14 % environ,
à Bouaye on relève 64 morts sur 1 124 habitants, à peine 6 %, alors que le déficit de population entre 1791 et 1796 est de plus de 25 %.
Les chiffres des pertes exactes dues directement ou indirectement à la guerre de Vendée sont en effet difficiles à établir. (voir article sur les fusillés du château d’Aux)
La plupart des déclarations de décès ont été faites ultérieurement, et beaucoup manquent surtout pour les enfants, les jeunes adultes, les célibataires, les réfugiés. Certains registres en outre ont été détruits, reconstitués, et les erreurs ou imprécisions de date sont nombreuses.
Toutes les évaluations restent donc fragiles, et la plupart du temps a minima.
Pour un bilan global, nous nous en remettrons donc à l’historien et démographe Jacques Hussenet. Après un travail collectif en 2007 il évalue le nombre de mort de la guerre de Vendée à 170 000 soit 22 à 23 % de la population et celui des militaires républicains à 30 000, soit environ 200 000 morts au total. (J. Hussenet « Détruisez la Vendée »)
On est loin du million de morts du populicide dénoncé par François Noël Babeuf et des 200 000 patriotes sacrifiés en Vendée de Louis Antoine de Saint Just.
Carrier ira même jusqu’au million de victimes égorgées, puis redescendra à 500 000 (« le sang des patriotes versé par l’aristocratie ») pour revenir au chiffre de de Saint Just lors de son procès.
Les conditions de ces morts sont souvent épouvantables et leur qualification est bien évidemment sujet à controverses
Les trois accusés
Qui sont les 3 accusés ?
François Albran est le plus âgé et le seul de Bouguenais. Né en 1755, il est laboureur, célibataire, et demeure au village de la Motte, à mi-chemin entre le bourg de Bouguenais et Saint Jean de Boiseau, en bordure de Loire. Il rejoint l’insurrection vendéenne en mars 1793, forcé selon ses dires par les « brigands », excuse a posteriori habituelle, qui l’auraient mis toutefois en prison quelques temps après à Port Saint Père.
Libéré pour marcher avec eux sur Machecoul, il n’y reste que 2 jours et déserte à l’approche du général Beysser, toujours selon ses déclarations et probablement mi-avril 1793.
Il se retire ensuite à Bouguenais où il n’a porté d’autres armes qu’un bâton, précision importante qui évite -en principe- la peine de mort. Mais un témoin de la commune l’a vu en août avec un fusil et la rumeur le dit « cavalier de Charette ». Il semble qu’il participe à la garde pour les « brigands » dans son village de la Motte et assiste jusqu’en septembre 1793 aux processions religieuses nocturnes, interdites.
Il est recruté toutefois comme guide de l’armée de l’Ouest en janvier/février 1794 et affecté à la garnison républicaine du château d’Aux parce qu’il « connaît les brigands » de la région. On ignore la cause de ce revirement. Il participe alors aux différentes expéditions dans les environs, désignant les maisons des « aristocrates » des « brigands » des prêtres réfractaires, mais ne semble pas agir par intérêt, la fouille de sa maison révélant une absence de biens, et joue peut-être un rôle modérateur que l’on verra lors d’une occasion bien particulière.
La plupart des habitants de Bouguenais, comme dans toutes les paroisses, se connaissent, surtout par village, et des solidarités, des alliances familiales se sont créées, même si les opinions divisent sans doute les familles. Ainsi, son frère Jean, de vingt ans son aîné, sera fusillé au château d’Aux comme « brigand » mais son beau frère, Le Prou, participe à l’occasion aux « réquisitions ».
Il connaîtra une fin tragique assassiné par des inconnus -probablement des rebelles- en décembre 1794, à sa sortie de prison.
François Guilbaudeau est le plus jeune, 28 ans, et parfois le plus entreprenant. Il est né le 4 février 1766 à Port Saint Père.
Son père est farinier, puis journalier. Lui sera maçon. Il se marie à 22 ans à Bouaye avec Françoise Poulard, une fille de laboureur.
Au début de l’insurrection il est « forcé » par les brigands de monter la garde une quinzaine de jours mais sans arme dit-il. Ensuite, après avoir été malade 2 mois et demi, il devient guide de l’armée républicaine et rencontre probablement Joseph Beilvert au cours de ses missions.
En janvier, il est dans la région de Machecoul, et participe, semble-t-il, à plusieurs expéditions puisque le 2 février 1794 le général Haxo, stationné dans l’Ouest de la Vendée, lui donne la permission de se retirer à Bouaye, en compagnie de Beilvert.
Il est toutefois installé au château d’Aux avec sa femme et son fils Pierre (un autre fils Louis né en 1791 y décédera en mai 1794) qui viennent le rejoindre en septembre/octobre 1793.
Il ne fera plus parler de lui après le second procès, cherchera sans doute à faire oublier ses excès, se consacrant à son métier de maçon.
Joseph Beilvert « la terreur des brigands » est le plus connu et plusieurs articles ou ouvrages lui ont été consacré.
Né le 11 novembre 1757 à Bouaye, il est issu d’un second mariage de son père, un boulanger, a priori honorablement connu, un temps marguillier de la paroisse. Sa mère est également veuve.
L’orthographe de son nom aura plusieurs variantes : Beilvers à sa naissance, puis Beillevaire, Beilvair, et enfin Beilvert ou Beilver pour la plupart des historiens.
Il se marie jeune, puisqu’il n’a que 20 ans en janvier 1778, avec Françoise Sorin de 7 ans son aînée, une fille de poissonnier.
Le couple va avoir 7 enfants (répertoriés) mais les 4 filles décèdent en bas-âge, avant 1791. Seuls restent 3 garçons, Pierre Joseph né en 1779, Joseph, né en 1785 -qui se lancera également dans des affaires douteuses- et le benjamin, Pierre Brutus, né lors de la période révolutionnaire, d’où son prénom, en 1796.
Boulanger à son mariage, il est cité, lors de la naissance de ses enfants, comme honorable homme en 1779/1780, puis comme marchand et même fabriqueur, membre du conseil de paroisse, en 1787.
Il aurait pu être un petit notable mais c’est probablement déjà aussi un affairiste. L’historien Alfred Lallié indique qu’avant 1789, il a été enfermé pour dettes et accusé de faux en écriture par un négociant de Paimboeuf.
Le préfet de Loire Inférieure, lors de la Restauration écrira même qu’il avait été condamné à mort pour assassinat, sauvé par un protecteur au parlement de Bretagne. Mais on en trouve trace nulle part.
Il saura, en tous cas, s’attirer plus tard des protections malgré ses ennuis judiciaires.
En mai 1791, suite à la vente des biens de l’Église, il achète avec 2 collègues, entre autres immeubles de Bouaye, le presbytère, un pré, 2 vignes et un marais. Toutefois, au premier terme, il ne peut pas en payer une partie, d’où un procès quelques années plus tard.
En cette période de bouleversements révolutionnaires, il n’hésite pas à piller avec un complice quelques demeures bourgeoises dont celle de Philippe de Biré, le plus gros propriétaire terrien de Bouaye.
De Biré porte plainte et Beilvert est condamné le 3 juillet 1792 à un an de prison.
(voir à ces sujets le site de Vincent Guilbaudeau).
A sa sortie, début juillet 1793 il s’engage -par opportunisme, par conviction ou par nécessité- parmi les éclaireurs qui doivent guider les troupes républicaines, originaires souvent d’autres départements, qui ne connaissent pas les régions insurgées.
Il est rattaché d’abord à l’armée du général Beysser qui, après Guérande, Ponchâteau, la Roche Bernard, vient remettre dans l’ordre dans le pays de Retz. Il le quitte le 4 septembre, reste quelques semaines à Bouaye pour ses affaires puis rejoint le camp de la Hibaudière le 8 octobre 1793 avec sa famille.
Le camp de La Hibaudière
Le camp de la Hibaudière, à Saint Jean de Boiseau (aujourd’hui La Montagne), près de Bouguenais, sur la rive gauche de la Loire, a été créé quelques mois plus tôt, lors du soulèvement populaire en Vendée.
En mars 1793, à l’annonce de la levée des 300 000 hommes, l’insurrection qui couvait depuis des mois, éclate dans beaucoup de paroisses de l’Ouest de la France.
Dès le 10 mars au soir, à Bouguenais, plus de 200 hommes armés de fusils, de fourches, de pioches, s’assemblent dans le bourg et menacent la municipalité. On sonne le tocsin, on tire des coups de feu sur la maison du maire, on jette des pierres sur celles des « patriotes ».
Malgré le calme revenu dès le lendemain, la municipalité décide de tenir dorénavant ses séances à Nantes où la plupart des notables se réfugient, y compris le receveur de Bouguenais. Il a eu à peine le temps de cacher ses registres, ses papiers timbrés et l’argent des contributions, 5 400 livres en assignats, qu’une personne de confiance lui remettra un peu plus tard.
Le 25 mars suivant, à l’annonce des décrets contre les émigrés et les prêtres réfractaires, une troupe un peu plus nombreuse, réunie dans les taillis de Bougon, décide de marcher contre le château de la famille d’Aux sur le domaine de la Hibaudière où vient d’être installé un petit poste occupé par la garde nationale de Nantes.
Elle est vite dispersée par quelques coups de feu, mais le capitaine d’artillerie Favereau, qui commande la fonderie d’Indret toute proche, demande au département d’assurer sa protection.
Le château d’Aux, en surplomb de la fonderie, pourvu d’épaisses murailles, constitue un verrou stratégique en aval de Nantes et présente des facilités de logement.
Le 14 avril 1793 le comité départemental décide d’y envoyer 500 hommes, pour la plupart des volontaires parisiens, sous le commandement du général La Bourdonnaye (Anne François Augustin vicomte de La Bourdonnaye, né à Guérande le 18 juillet 1745 et mort à Dax le 6 octobre 1793 dans l’armée des Pyrénées. Sa veuve et sa belle-mère réfugiées à Nantes se feront enlever par la Comité révolutionnaire pour plus de 80 000 livres en septembre de la même année - AD 85 - F7 4563).
La conduite déplorable de ces volontaires, volontiers pillards, conduit à leur renvoi. Leurs successeurs, des gardes nationaux nantais, ne se comportent pas mieux mais restent prudemment à l’abri de leurs murailles alors que la guérilla s’intensifie.
Le général Beysser qui a repris en main toute la région, opère une sortie, de Nantes au château d’Aux, le 19 juin sans rencontrer de résistance et le 29, l’élan de l’armée catholique et royale menée par Cathelineau, le « saint d’Anjou » se brise sur la ville en état de siège.
Si l’insurrection a subi un échec décisif, les campagnes restent toutefois au pouvoir des « brigands ». Lucas de la Championnière et de La Cathelinière, deux lieutenants de Charette, harcèlent régulièrement le camp de la Hibaudière. L’attaque la plus importante a lieu le 10 août 1793, opposant 6 à 7 000 insurgés à 600 hommes environ. Elle échoue, faute d’artillerie.
Début septembre, l’armée de Mayence, vaincue, mais disciplinée, aguerrie, commandée par Kléber, est affectée dans l’Ouest puisque pour prix de sa libération, elle ne peut plus combattre les coalisés pendant un an.
Le 9, au cours d’une manœuvre conjointe en tenaille, Beysser avec 6 000 hommes, parvient à sécuriser la rive gauche de la Loire, Kléber allant sur Port Saint Père.
Toutefois la Convention nationale s’impatiente et exige une victoire avant la fin octobre. Les commandants des différents postes reçoivent l’ordre de harceler les insurgés et de réquisitionner tout ce qui peut être utile aux villes et aux armées. C’est le pillage organisé de la région où les guides, organisés en compagnies, et les volontaires locaux trouvent toute leur utilité.
Le 8 eme bataillon des volontaires du Bas-Rhin, de l’armée de Mayence, commandé par Arnould Muscar, un militaire de carrière intransigeant, fervent républicain, vient renforcer la garnison dont il prend le commandement provisoire courant octobre 1793. Il est secondé, entre autres, par un jeune capitaine de 20 ans, Joseph Léopold Sigisbert Hugo, lui aussi républicain convaincu qui signe « Brutus Hugo » le futur père du grand Victor.
La seule cavalerie du camp est celle du bataillon du Bas-Rhin et le guide le plus efficace, courageux, acharné, connaissant bien la région est Joseph Beilvert, arrivé depuis peu. Il semble être le meneur de la petite troupe de volontaire et de guides, effectuant les sales besognes de réquisitions et d’exécutions sommaires, acquérant une certaine renommée y compris chez ses adversaires.
Il se vantera d’avoir été nommé par Carrier lui-même. Arrivé début octobre 1793 le représentant du peuple rend visite à la garnison courant janvier 1794 et reste 3 jours au château d’Aux, avec sa maîtresse, l’épouse de Lenormand, directeur de l’hôpital de Nantes. Carrier et Beilvert se sont-ils rencontrés à cette occasion ? Il n’y a aucune certitude.
Après l’anéantissement de l’armée catholique et royale, encombrée de malades, de civils, à Savenay fin décembre, et la reprise de Noirmoutier le 3 janvier, les colonnes infernales entament le 19 janvier leur terrible périple, pillant, violant, incendiant, tuant souvent sans distinguer patriotes, brigands et suspects, hommes, femmes et enfants. La neuvième, celle du général Cordellier après avoir mis les Mauges à feu et à sang sème la mort au cœur de la Vendée. Elle atteindra entre autres communes proches du château d’Aux, Vieillevigne, la Chapelle Basse Mer, Saint Julien de Concelles, Drain, Champtoceaux.
Le massacre le plus connu qui lui est imputé est celui des Lucs sur Boulogne fin février 1794 (564 victimes dont 109 enfants de moins de 7 ans).
Si les abords du camp de la Hibaudière ont été épargnés par les colonnes infernales, la garnison, outre ses missions de ravitaillement, lance parfois des raids dans les territoires insurgés. Ainsi c’est une opération lancée du château d’Aux fin février dans la forêt de Princé qui aboutira à la capture de La Cathelinière.
Beilvert s’y distingue par son zèle révolutionnaire, surtout à l’encontre des populations civiles pour des réquisitions de toutes sortes et l’exécution de suspects. Le 21 mars, il conduit une expédition à Bouguenais. Les soldats tuent des habitants sur place, en emmènent d’autres, dont de nombreuses femmes, au château d’Aux.
Muscar écrit le 27 au général Vimeux, un mayençais commandant de la Loire Inférieure : « J’ai dans les prisons douze brigandes qui ont été condamnées à la peine de mort. Il y a dans ce nombre des mères qui ont des enfants à la mamelle ; c’est ce qui a fait suspendre l’exécution. J’ai consulté sur la conduite que j’avais à tenir les représentants ; ils ne m’ont pas encore répondu ».
Le lendemain, dix de ces prisonnières sont fusillées dans le parc du château. Les insurgés essayent de se venger, et attaque un détachement de cavalerie.
Une nouvelle expédition est prévue pour le 31. Là encore, c’est Beilvert qui guide la rafle. Deux colonnes parcourent la commune, des Couëts au bourg en passant par le Brandais et Bougon. Les soldats entrent dans les villages et saisissent les habitants « suspects » soit plus de 300, dont 70 femmes, qui leur tombent sous la main. Attachés deux à deux avec de grosses cordes, poussés, bousculés, frappés, ils prennent la route du château d’Aux.
Cette rafle, par son ampleur, a marqué les esprits.
La commission militaire révolutionnaire affectée à l’armée de l’Ouest, dite commission « Bignon » du nom de son président, requise le 1 er avril par Pierre Anselme Garreau le représentant du peuple qui suit cette armée, vient sur place dès le lendemain juger les coupables.
La commission, comme à son habitude est expéditive. (voir « Les fusillés du château d’Aux »)
Plusieurs notables, à peine rentrés dans leur foyer, appelés à témoigner sur leurs concitoyens, sont suspectés de complaisance. Arrêtés aussitôt ils sont conduits à Nantes et enfermés au Sanitat.
Les 2 et 3 avril 1794, 215 hommes, sur les 226 prévenus, sont condamnés à mort et fusillés avec confiscation des biens. Il est à remarquer que l’une des accusations qui revient fréquemment est de ne pas s’être « réfugié », alors que la Ville de Nantes est déjà surpeuplée.
La commission « Bignon » repartie d’urgence, une vingtaine de femmes sont acquittées sur place par un tribunal présidé par le jeune capitaine Brutus Hugo. Dans ses mémoires il en a donné un témoignage émouvant.
Les notables républicains, dont le maire, sont jugés à Nantes le 8 avril par cette même commission Bignon qui s’est déplacée pour l’occasion au Sanitat.
On leur reproche d’avoir donné trop facilement des certificats de civisme, y compris à de nombreux condamnés à mort des jours précédents. Considérant toutefois qu’ils étaient absents depuis plus d’un an de Bouguenais, et que certains certificats ont été annulés lors d’une séance tenue à Nantes le 23 décembre, ils sont acquittés et relâchés « leur détention étant suffisante pour les punir de la négligence qu’ils ont apportés dans leur mission ».
La république sait être clémente. Mais revenus dans leur commune, parmi leurs proches dont beaucoup ont été tués, pillés, maltraités, fusillés, et probablement encore marqués eux-mêmes par leur détention, ils ont probablement des comptes à régler, comme beaucoup d’autres, à Nantes même, après le départ de Carrier.
Le premier procès mai-juillet 1794
1 ) les accusations
Ce sont donc 2 dénonciations adressées par des officiers municipaux de Bouguenais au district de Nantes ((qui comprenait les cantons de Nantes, Bouaye, Bouguenais, Nort, Chantenay, La chapelle/Erdre, Saint Sébastien, Thouaré ) puis du district au tribunal militaire qui ont provoqué le premier procès.
Les accusés étant auxiliaires de l’armée, c’est le tribunal criminel militaire du 2 eme arrondissement de l’armée de l’Ouest qui est chargé de l’instruction.
Joseph Beilvert, François Guilbaudeau et François Albran, sont alors accusés de « vols, attentats à la sûreté et à la liberté des citoyens, vols et assassinats, faux, viol, pillage ».
Les pièces du procès, y compris les lettres d’envoi, sont soigneusement numérotées de 1 à 42 dans le dossier mais parfois sans ordre chronologique.
- le 2 mai, la première dénonciation des officiers municipaux de Bouguenais, est dirigée « contre la garnison du château d’aux qui ne nous parait pas de se comporter comme elle le doit […] Beilvert à la tête de toutes les sorties »
Par prudence trois copies ont été faites, « au citoyen Vimeux » (qui remplacera à l’armée de l’Ouest Turreau, suspendu le 13 mai), au commandant de la place de Nantes et au tribunal révolutionnaire.
Suit le témoignage de 10 habitants de Bouguenais assorti de quelques précisions des responsables municipaux.
Il s’agit essentiellement de vols, de bétail, d’argent en monnaie et assignats, de vaisselle, de linge, de bijoux (de filet à cheveux et d’anneaux qui sont pris lorsqu’ils sont en or ou en argent) et de l’enlèvement -qui ne durera pas- de quelques jeunes filles.
Peut-être par souci de montrer leur bonne volonté, trois hommes et une femme dénoncent nominativement des « brigands » coupables ou complices de meurtres de républicains, et l’un d’eux indique que François Albran était auparavant du côté des insurgés.
Marguerite Touzé, une veuve de 65 ans, (dont l’un des fils et l’un des gendres ont été fusillés au camp de la Hibaudière), déclare que des soldats de la garnison du château d’Aux, ont emmené sa fille avec plusieurs autres, et qu’ils lui ont volé, entre autres choses, un cheval, un veau, mais qu’ils lui ont laissé son filet en s’apercevant qu’il n’était pas en or.
Trois femmes déclarent que la même troupe, le 26 avril, a emmené des jeunes filles et l’une de ces femmes, Jeanne Goyau, précise qu’ils ont pris son filet d’or, et pillé chez elle après avoir défoncé l’armoire.
Deux autres, Françoise Lefevre et Marie Sorin, déclarent que les volontaires leur ont volé de l’argent, du linge, de la vaisselle, des bijoux (filet d’or, croix d’argent).
Les officiers municipaux de Bouguenais précisent à cette occasion que dans la nuit du 28 au 29 avril (1794) Beilvert et Albran, avec 50 hommes du château d’Aux ont été dans plusieurs villages pour piller, linge, assignats, anneaux des femmes.
Julien Collard, lui, témoigne qu’Albran était auparavant du côté des insurgés, chef de garde et de processions nocturnes.
Louis Moisdon et son fils Charles, le dénoncent plus clairement. Il aurait tué cinq « bleus ». Ils désignent également d’autres « brigands » ayant participé aux meurtres de républicains, ainsi que les 2 fils Lemerle des Couëts.
Marie Pouvreau déclare que le père Lemerle, actuellement détenu à Nantes (il y est décédé le 12 avril dernier et c’est le père des frères Lemerle cités plus haut) a tenu des propos contre les « bougres de patriotes », ainsi que le nommé Bagnard.
- Le 6 mai Anne Gadais, une jeune fille de 28 ans, du même village qu’Albran, raconte aux officiers municipaux son agression et ils en font suivre le récit dès le lendemain au district.
La jeune fille déclare que les trois guides, Beilvert, Albran et Guilbaudeau et plusieurs volontaires du château d’Aux ont été chez elle à différents reprises depuis plus d’un mois (donc après la rafle du 31 mars) qu’ils ont emporté du linge, des outils, des ustensiles de cuisine, 82 livres « en un mot tout ce qui était chez ses père et mère », qu’ils l’ont maltraité, menacée et violée après l’avoir hissée dans un grenier à l’aide d’une corde. Pendant ce temps « ils firent attacher sa mère dans le jardin et gardée par deux volontaires à qui il firent donner chacun cent sous qu’elle fut obligé d'emprunter à la voisine ».
- non daté le témoignage d’Anne Perrin, indique que vers la mi-mars, Beilvert et quatre volontaires du château d’Aux, lui ont volé du linge, son filet d’or, son portefeuille, puis qu’ils l’ont attachée en exigeant de leur donner tout ce qu’elle avait. Ils ont maltraité également une voisine, Julienne Mocquard
Contre ces accusations des 5 et 7 mai, la riposte des accusés ne se fait pas attendre, signe que les informations circulent vite et qu’ils possèdent des appuis.
2) la défense des accusés
- datée du 7 mai, une pétition signée de soldats et d’officiers du camp de la Hibaudière dont Brutus Hugo, décrit Beilvert ayant toujours « eu des opinions républicaines [...] qu’enfin par son énergie, son civisme et son héroïsme, il a amené la paix à quatre lieues de nos alentours ».
- sans date et tronquée, mais numérotée à suivre la précédente donc probablement rapprochée, une seconde pétition du commandant et des officiers du camp de la Hibaudière, vient au secours de Beilvert « un républicain des plus ardents […] un guerrier intrépide jusqu’à la témérité qui a rendu des services signalés à la garnison […] qui par son acharnement contre ces scélérats (les brigands NDLR) s’en est tellement rendu le fléau et la terreur que la Vendée ne serait plus s’il y avait eu trente Bellevert... »
- non daté également, les officiers et soldats du bivouac des Couëts attestent « que le citoyen Beilver guide du camp de la Hibaudière emprisonné à Nantes a guidé nos détachements dans les expéditions contre les brigands avec une valeur et une intrépidité sans exemple, […] et que nous ne l’avons jamais vu se conduire autrement qu’en honnête homme et ennemi juré du Royalisme et de tous les traîtres à la Patrie »
On y reconnaît la signature du (futur) général Hugo.
Attaqués sur leur probité, Beilvert et Guilbaudeau, réunissent également, ou font réunir par leurs sympathisants, des « preuves » de leur honnêteté. On a ainsi :
le 29 septembre 1793 un reçu de Beilvert pour 2 fusils de chasse et des cloches du château de Saint Aignan (sans autre précision),
le 4 octobre 1793 une autorisation (anonyme) de requérir des chariots pour enlever les grains, bestiaux et affaires aux insurgés,
le 13 décembre1793, un long procès verbal du procureur et d’officiers municipaux de Bouaye qui, accompagnés entre autres volontaires de Beilvert et Guilbaudeau, ont découvert à la métairie de la Noë des malles cachées, contenant du linge, de la vaisselle, du café, de l’argent, appartenant au « citoyen » Arnaud (ou Arnoult, Arnoud) a priori un gros propriétaire terrien. Son métayer, Jean Bertet, est sommé de remettre les objets à Beilvert,
le 13 janvier 1794 un ordre du juge de paix du canton de Bouaye à Beilvert pour emmener un nommé Pierre Fetiveau au Comité révolutionnaire de Nantes (il sera condamné à mort par la commission Bignon à Nantes le 17 janvier et fusillé dans les carrières de Gigant),
le 27 janvier 1794 un reçu de l’armée de Lorient pour 5 barriques pleines d’effets et 4 chaudières (alambics) avec leurs équipements plus 3 barriques de vin, une armoire et du linge, amenées à Nantes par Beilvert et provenant de Saint Mars (de Coutais probablement),
le 15 février 1794 le maire de Pont Saint Martin reconnaît avoir reçu de Beilvert des "ustensiles d’église" en argent, pris chez un nommé Mathurin Echappé (qui mourra en prison en avril suivant),
le 19 février 1794 un reçu de 6 livres 5 sols délivré à Guilbaudeau par le percepteur de Bouaye (à titre de comparaison les Marat sont soldés 10 livres par jour ),
le 5 avril 1794 un certificat de civisme de Guilbaudeau,
le 14 avril 1794 un bon pour 10 vaches, 3 bœufs, 4 génisses remis par Beilvert à la Hibaudière.
Nous ignorons quand toutes ces « preuves » au total assez minces, ont été remises au tribunal mais elles figurent, numérotées entre 13 et 26, au dossier de l’instruction et ont été probablement versées avant les interrogatoires qui vont suivre.
Le 9 mai suivant la municipalité de Bouguenais siégeant aux Couëts, où une petite garnison se tient dans l’ancien couvent des Carmélites, le lieu est donc plus sûr, se propose d’envoyer des témoins le 13 mai prochain au tribunal militaire, certains n’ayant pas de certificat de civisme précise-t-elle (en fait aucun n’en aura).
3) les premiers interrogatoires
En attendant la venue des témoins, les premiers interrogatoires, assez succincts, des accusés ont lieu les 11 et 12 mai. On ignore qui les conduit. Un délégué du district ? Mais on veut sans doute s’assurer de la solidité du dossier avant de le transmettre à l’officier de police militaire. (Deux mois plus tard, en effet, le 9 juillet cet officier de police militaire et de sûreté, André Cordier, conduira l’audition des accusés et c’est le 21 juillet, que François Bignon, président du tribunal criminel extraordinaire, les questionnera à son tour.)
Le premier à être interrogé est Joseph Beilvert.
Il dit avoir été arrêté par ordre de Simon, commandant en second du bataillon du Bas-Rhin, sur réquisition de commissaires envoyés de Nantes, sans en connaître le motif, et admet avoir conduit des détachements sur Bouguenais, précisant : « c’était des maisons d'aristocrates, qu'il n’y a aucun patriote dans cette commune ou du moins qu’il n’y en connaît aucun. »
Il concède toutefois qu’il ne connaissait pas assez les habitants de Bouguenais mais qu’ils ont fait plusieurs sorties de jour comme de nuit et arrêté beaucoup de brigands avec Guilbaudeau et Albran depuis que ce dernier a été nommé guide.
A une question plus précise il répond qu’il n’a pas connaissance « qu’il ait été commis aucun vol, ni pillage, ni qu’il ait été emmené aucune femme, ni fille, si ce n’est celles qui étaient connues pour brigandes, qui ont été conduites au château d’Aux et de là, à Nantes où elles doivent être prisonnières». Soit le strict respect de la légalité révolutionnaire.
Il donne ensuite des détails sur son emploi du temps depuis son recrutement, indique qu’il s’est retiré à Nantes longtemps avant l’insurrection et qu’il a été dans la garde nationale, au bataillon du Bouffay.
L’interrogateur lui demande ensuite si lui, Albran, Guilbaudeau, et plusieurs volontaires n’ont pas volé et violé Anne Gadais en la menaçant, après avoir attachée sa mère dans le jardin.
Il le nie (a dénié l’interrogation).
Apparemment bien informé quand même, son interlocuteur lui demande s’il était repris de justice. Il avoue alors avoir été détenu 14 mois au Bouffay pour vol mais ajoute qu’il a été reconnu innocent.
Sur une réplique plus sèche, il admet qu’il a été effectivement reconnu coupable.
Guilbaudeau le suit le 12 mai.
Il charge Albran qui indiquait les maisons suspectes et ne se souvient ni du vol ni du viol d’Anne Gadais mais précise qu’il a un certificat de civisme (qui date toutefois d’un mois, le 5 avril dernier).
Albran interrogé le même jour, après avoir précisé son identité, admet avoir conduit différents détachements à Bouguenais. Il a été plusieurs fois chez Gabriel Gadet (Gadais) où il a trouvé un fusil mais il ne connaît pas les faits de vol et viol reprochés. Il ignore également les noms et grades de ceux qui étaient avec lui.
Dans d’autres expéditions il cite le nom de 2 sergents et d’un capitaine du bataillon du Bas-Rhin. Il dit avoir été « forcé » au début de suivre les brigands et avoue qu’il n’a pas de certificat de civisme, mais qu’il n’en a pas demandé.
Il nie également de s’être vanté d’avoir tué 5 bleus de 5 coups de fusil, comme un témoin l’a indiqué.
On retient de ces brefs interrogatoires, que celui qui en a la charge vérifie l’identité des accusés, demande leur parcours mais s’intéresse essentiellement au cas d’Anne Gadais. Si les exécutions sommaires, les pillages, les brutalités, et plus tard les incendies ne paraissent pas soulever d’indignation, ce viol, lui, ne passe pas.
4 ) les confrontation des 13 et 14 mai 1794
Le lendemain 13 mai Beilvert, Guilbaudeau et Albran sont confrontés aux témoins annoncés par la municipalité de Bouguenais. Aucun n’a de certificat de civisme, ce qui est noté à chaque fois.
Anne Gadais répète sa déposition. Elle a été volée et violée, sa mère attachée à un arbre et elle a dû payer pour la faire délivrer..
Les accusés disent que l’accusation est fausse.
Jeanne Richeux, veuve de Pierre Gatine, témoigne pour la première fois. Elle raconte qu’ayant reçu une convocation de se rendre à Nantes, fin avril, avec son mari, ils faisaient leurs paquets lorsqu’un détachement du château d’Aux survint avec Beilvert, Albran et Guilbaudeau. Son mari voulut se cacher. Il fut tué et on lui vola des affaires.
Les accusés disent ignorer la mort de Pierre Gatine (le décès sera déclaré le 24 juin 1796 par des voisins ou amis).
Anne Maillard fait à peu prés la même déposition pour une convocation à Nantes mais son mari, laissé pour mort par les soldats se traîna chez lui où il fut achevé l’après midi. Elle précise qu’auparavant Beilvert était venu à différents reprises pour la voler.
Beilvert admet avoir enlevé du vin en sa présence mais sur ordre du citoyen Minguet du Pellerin (un des commissaires aux vivres du camp de la Hibaudière).
Anne Monnier dépose que depuis début avril Beilvert, Guilbaudeau, Albran, avec la troupe du château d’Aux sont venus plusieurs fois chez elle pour piller, jetant leur grain dehors, et que Beilvert et Guilbaudeau l’ont frappé si durement qu’elle est hors d’état de gagner sa vie (elle a 56 ans).
Les accusés répondent qu’ils ont été deux fois chez elle parce que son fils est brigand dans l’armée de Charette. La témoin répond que c’est faux, son fils est à Nantes dans la réquisition
La veuve de Gabriel Gadet, et donc la mère d’Anne Gadais, dépose que vers la fin avril Beilvert avec un détachement de la garnison du château d’Aux et des volontaires entrèrent chez elle, fouillèrent partout, volant un filet d’or, une bague, son porte feuille.
Beilvert répond qu’il a été chez elle pour chercher un nommé Thebaud, un brigand qui s’y cachait.
Elle répond que Thebaud est son voisin, mais que s’ils le cherchaient ils n’ont même pas été chez lui.
Marie Bessac, dépose qu’elle ramassait de l’herbe le 22 avril, avec Jeanne sa sœur, François et Marie Sauvaget lorsqu’un détachement d’une centaine de volontaires leur dire d’aller à la Couillauderie voir Beilvert.
Arrivées à cet endroit, il les fit attacher et conduire au château d’Aux. Elle furent libérées grâce à l’intervention de leur municipalité tandis que Beilvert disait « C’est une cartouche qu’il leur faut ».
Louise Monnier, raconte à peu près la même chose. Le 2 mai, avec Marie Davié et Anne Orieux, conduisant leurs bestiaux elle furent arrêtées par un détachement. On les fouilla, Beilvert menaçant de les faire fusiller si elles bougeaient.
Conduites au château d’Aux, malgré plusieurs interventions d’officiers, elle furent mises en prison, Beilvert répétant « Oh non les sacrés garces, c’est une cartouche qu’il leur faut demain matin »
Beilvert nie encore une fois. La témoin précise que le sergent major du bataillon du Bas Rhin s’opposa lors de la fouille qu’on lui ôte l’épingle de son mouchoir.
Jeanne Baudru atteste que le 2 mai Guilbaudeau, à la tête d’un détachement arriva chez sa parente où elle se trouvait. Ils la montèrent dans un grenier et la violèrent à 7 ou 8. Guilbaudeau, fut le premier. Il arma son fusil et menaça de tirer quand elle appela au secours
Guilbaudeau dit que la déposition est fausse
Jeanne Marais dépose que fin avril, le beau frère d’Albran, Le Prou, vint lui prendre un veau sans la payer, sur ordre de Beilvert. Trois jours après Albran, Guilbaudeau et un autre vinrent chez elle, s’installèrent pour boire et manger, lui tinrent des propos indécents, voulant la faire passer dans la chambre, la menaçant avec des armes, Guilbaudeau glissant la main sous sa jupe. Le Prou (le beau frère d’Albran) intervint, dit qu’elle avait 2 vaches, ils la laissèrent alors tranquille mais lui dirent qu’elle ne devait pas en parler. Elle ajoute qu’à la mi avril ils emmenèrent son frère, qui n’est jamais réapparu (son frère Louis a été fusillé au château d’Aux le 2 avril)
Beilvert, Albran et Guilbaudeau admettent avoir été au village de la Motte pour prendre le frère de la témoin et un autre, tous deux « des brigands » et qu’ils furent fusillés au château d’Aux.
La confrontation continue le lendemain 14 mai.
Maurice Touzé le mari d’Anne Monnier qui a déposé la veille, fait à son tour un long récit de la venue à deux reprises en avril de Beilvert et d’Albran à leur domicile disant « qu’ils se mirent a fouiller partout, notamment dans les armoires et coffres ou ils prirent tout ce qu’ils trouvèrent, qu’ensuite Beillevert le fit lier et garrotter en disant qu'il fallait l’emmener a Chateaudeau » . La deuxième fois « ils ne quittèrent sa maison qu’après l’avoir entièrement pillée et laissée dépourvue de tout »
Beilvert et Albran disent que la déposition est fausse et qu’ils cherchaient son fils, un « brigand ».
Touzé, comme son épouse, réplique que son fils est dans la réquisition de Nantes.
Julien Colas témoigne qu’étant chez lui début avril avec Marc Maillard, Albran passant par là dit à ce dernier que s’il était pris il serait un homme mort. La nuit suivante Maillard fut effectivement arrêté et fusillé au château d’Aux (Marc Maillard a été fusillé le 2 avril).
Albran dit que la déposition est fausse.
Joseph Corgnet témoigne d’une hache empruntée de nuit par Albran.
Celui-ci se défend en disant que Corgnet a été brigand et qu’il ne mérite aucune croyance
Cinq notables réfugiés en dehors de Bouguenais : Jean Lefebvre, Gratien Bouanchaud, Jean Chesnard, Mathurin Assailly et Julien Ordronneau (ces deux derniers ayant été jugés et acquittés le mois précédent, le 8 avril) témoignent ensuite de l’arbitraire de Beilvert et s’étonnent qu’il se soit associé avec Albran, qui a été dans l’armée de Charette.
Jean Lefebvre rapporte que Beilvert lui a répondu à propos d’Albran « que c’était un homme comme celui là qu’il leur fallait parce qu’il connaissait tous les brigands ». Mais le notable ajoute que de bons patriotes et de francs républicains de Bouguenais ont également été fusillés.
Gratien Bouanchaud dépose qu’il y a 15 jours dans un café, au château d’Aux, Beilvert a dit qu’il voulait tuer le reste des habitants de Bouguenais et qu’une partie de la municipalité méritait de l’être à commencer par l’agent national, « qu’il s’en foutait quand il devrait être guillotiné le lendemain ».
En marge, il est noté que des scellés ont été posés au domicile d’Albran. Il y avait pour tous effets des cartouches, une cocarde blanche, une poudrière.
Les trois autres déposent qu’étant, il y a un mois dans un cabaret du Bouffay, ils firent observer à Beilvert qu’Albran « était un mauvais sujet, qu’il avait été cavalier de Charette, avait assisté aux processions nocturnes et détourné les jeunes gens de Bouguenais de la réquisition, Beillevert répliqua que c’était un bon bougre, que c’était un homme comme celui la qu’il leur fallait »
Beilvert nie de nouveau cette conversation.
A cette date, la procédure semble avoir été suspendue. François Bachelier, commissaire au château d’Aux (a priori un arpenteur de Brains réfugié ensuite à Nantes, commissaire aux subsistances ) demande par écrit le 13 mai aux « citoyens juges du Conseil militaire » de suspendre les jugements des 3 accusés plus Mathurin Prou le beau frère d’Albran, pourtant non visé par la procédure. Il a des dépositions à faire contre eux… dépositions que nous ne verrons pas, enfin pas tout de suite. (Pour mémoire Bachelier a témoigné a la commission Bignon contre l’un de ses compatriotes, Jacques Boudaud, un notaire de Saint Jean de Boiseau qui sera fusillé).
Nous le retrouverons en effet lors du second procès, témoin à charge, mais cette fois contre Guilbaudeau..
Plus d’un mois et demi va s’écouler avant de retrouver le fil de la procédure judiciaire. L’instructeur du tribunal militaire reprend probablement le dossier, réunit les pièces à charge et à décharge, ou en attend de nouvelles, en suivant l’évolution de la situation locale.
Car l’ambiance à Nantes n’est plus tout à fait la même.
Pour la première fois, après son courrier du 2 avril au district, Phelippes Tronjolly met officiellement en cause, le 12 mai, les réquisitions ou exécutions faites depuis 7 mois et demande aux victimes de témoigner de ces actes, avec inscription au registre du Tribunal.
Le 14, le District, qu’il pousse toujours à agir, écrit au Comité révolutionnaire de Nantes pour avoir le décompte définitif des différentes saisies, taxes, impositions et contributions qu’ils ont pratiquées.
Interpellé à son tour, le représentant du peuple Prieur de la Marne temporise et demande à Phelippes Tronjolly de patienter. Puis il quitte Nantes pour Brest.
Jacques Garnier, dit Garnier de Saintes, arrive le 15 et repart le 25 pour être remplacé par Pierre Bourbotte, bientôt renforcé par Jean Baptiste Bô début juin, deux jacobins intransigeants. (Bourbotte avec son prédécesseur Prieur et Turreau, le cousin du général a fait fusiller les 1 200 prisonniers royalistes de Noirmoutier qui s’étaient rendus contre la promesse du général Haxo d’avoir la vie sauve.).
Le Comité révolutionnaire sous l’impulsion de Goullin et de Chaux lance alors une contre offensive qui s’avère être bien mal préparée.
Thomas, un officier de santé respecté, ayant refusé de signer une dénonciation contre Phelippes Tronjolly, pour fédéralisme, modérantisme, etc. le Comité l’adresse aux nouveaux représentants sans aucune signature. A la demande de Bourbotte une deuxième, plus complète, plus détaillée (on passe de 15 à 132 chefs d’accusation) est rédigée, mais n’est toujours pas signée.
Bourbotte, excédé, demande cette fois à la Société populaire Vincent la Montagne, la base jacobine, de lui désigner 13 citoyens qui seront chargés de le conseiller. Aux abois, court-circuité, le Comité révolutionnaire essaye de reconstituer péniblement ses comptes et placarde une affiche pour demander à tous ceux qui ont « contribué » financièrement à leur action de s’inscrire sur un registre, dans les 3 jours.
Le 11 juin, après une mise en demeure restée sans effet, Bô et Bourbotte lancent des mandats d’arrêt contre les membres du Comité révolutionnaire qui sont internés sur place.
Mais pour faire bonne mesure, Phelippes Tronjolly est également arrêté pour être dirigé, lui, vers la Tribunal révolutionnaire de la capitale.
Ayant refuser de payer une diligence, il est conduit par la gendarmerie à Paris qui, depuis la loi du 8 mai 1794, centralise tous les procès des contre-révolutionnaires.
Le 23 juin les deux représentants du peuple demandent par voie d’ affichage aux Nantais de déclarer les sommes remises, volontairement ou non, au Comité sous les 20 jours.
Il y a foule et le délai sera reporté d’une décade le 12 juillet suivant.
C’est dans cette atmosphère conflictuelle, de règlement de comptes, de remise en ordre « révolutionnaire » que la procédure à l’encontre des guides du château d’Aux se poursuit.
5) le jury d’accusation, 9 et 10 juillet 1794
un autre témoignage, tardif, puisqu’il est daté du 29 mai 1794, est transmis par la municipalité de Bouguenais avant l’instruction menée par la police militaire.
Jeanne Joret, de Bouaye accuse Beilvert et Guilbaudeau, et une douzaine de volontaires du château d’Aux, d’avoir début avril pillé chez ses parents tout l’argent « monnayé » et les assignats. Ensuite, d’être revenus voler une vache, une jument et son poulain. Un témoin Pierre Blineau précise sur la même déposition que Beilvert a tué Joret et un certain Archambeau à Bouaye.
Comme beaucoup d’autres, cette accusation est retenue, presque conformiste, dénonçant uniquement le vol qui serait a priori plus répréhensible que l’exécution de suspects. Pourtant le meurtre du père et de la mère de Jeanne Joret ont été perpétrés le 3 avril 1794, soit deux mois avant la déclaration ( cette date précise -trop précise ?- n’a été donnée officiellement qu’au mariage de leur fils Pierre, en 1807, autre exemple de la difficulté à retrouver date et lieu des décès).
La même accusation, datée du 26 mai, sera produite de nouveau -mais moins censurée - lors du second procès. Elle indique bien que les volontaires « tuèrent ses père et mère à leur porte et pillèrent ensuite tout ce qui était dans la maison ».
Le deuxième interrogatoire est effectué par André Cordier officier de police militaire et de sûreté à Nantes. Avec deux jurés, un plâtrier désigné par la municipalité de Nantes et un vétéran du château d’Aux, il constitue le jury d’accusation chargé de décider du renvoi ou non des prévenus devant le tribunal criminel militaire.
Les questions et les réponses sont brèves, sèches, plus « militaires » et le tutoiement est de rigueur.
Beilvert doit répondre à une vingtaine de questions. Il nie tout : le viol d’Anne Gadais, les expéditions, les vols, les exécutions de Pierre Gatine, et de Simon Douaud, les enlèvements des jeunes filles, ses propos, ses menaces.
Extrait :
« D- Quand tu t’es présenté chez le nommé Douaud avec de la troupe et que faisant perquisition chez lui, les volontaires le trouvant blessé dans son lit, ne leur cria-tu pas "achevez-moi ce gueux-la" ce qu'ils exécutèrent à l’instant et se mirent ensuite à piller et voler ?
• R- Que c'est faux et que c'est par vindication lui ayant fait enlever son vin quelque temps auparavant. ».
Après relecture, il signe son interrogatoire.
Le juré d’accusation, estimant les charges suffisantes, décide qu’il sera traduit devant le tribunal militaire, prévenu « d'avoir attenté à la propriété et sûreté des citoyens ».
Pour Guilbaudeau l’interrogatoire comprend seulement une douzaine de questions mais Cordier insiste plus particulièrement sur les viols d’Anne Gadais et de Jeanne Baudru, et la tentative de viol de Jeanne Marais épouse Brétécher, objet de la plus longue des questions :
« N'as tu pas été un soir chez la nommée Bretéché pour y demander à boire et à manger, l'a menaças-tu pas de la conduire au château daux, que sur son refus, toi et le nommé Albran lui lièrent les mains et voulurent la faire passer dans une petite chambre de derrière pour assouvir vos passions. Que ne voulant pas y consentir, vous la menacèrent de l'attacher à la queue de vos cheveux, et que toi y passant la main sous ses jupes et s’y refusant, tu la frappa avec un pistolet que tu tenais à la main. ».
Il répond « Qu'il à bien bu chez la citoyenne mais qu'il n’y à fait aucune insulte. »
Cordier, conformément à la procédure, lui relit l’interrogatoire.
Il dit n’avoir rien à ajouter, retrancher, diminuer, et déclare ne savoir signer.
Le juré d’accusation décide, comme pour Beilvert, qu’il y a lieu à accusation « d'avoir attenté à la liberté et sûreté des citoyens » et il est renvoyé devant le tribunal militaire
Albran doit répondre à quatorze questions de Cordier, dont 4 sur son identité et ses fonctions.
Il nie avoir été sous les ordres de Charette. Il indique cependant, et c’est le premier véritable aveu, que ce sont Beilvert et Guilbaudeau qui ont violé Anne Gadais.
Il dit avoir vu Gatine mort mais qu’il n’en a pas donné l’ordre et il a seulement entendu des volontaires dire qu’ils avaient tué Simon Douaud.
Il prétend ne pas savoir signer (mais une signature à son nom sera apposée lors de l’interrogatoire suivant)
Le jury d’accusation le renvoie également devant le tribunal militaire.
Nous sommes le 10 juillet 1794.
6) le procès du 22 juillet 1794 au tribunal criminel militaire
La procédure est enfin arrivée devant le tribunal militaire qui se prononcera dans la journée du 22 juillet 1794.
Datée de la veille, une lettre du 12 eme bataillon de volontaires affirme que Beilvert « s’est comporté en vrai et brave républicain. N’a pas pillé ou encouragé au pillage »
Annexées aux pièces du procès et datées du 22 juillet figurent également ce qui paraît être des notes griffonnées, parfois difficilement lisibles, concernant les témoignages de plusieurs témoins, de Bouaye et de Bouguenais, certains réfugiés à Nantes. Notes de Cordier, de Bignon ?
On y lit :
« Anne Maillard veuve Simon Douaud 37 ans, Bouguenais son mari a reçu 1 coup de fusil et 2 coups de sabre. Beillevert l’a achevé en disant que c’était un brigand » et « Jeanne Bautru 24 ans, à la Ville au Denis commune de Bouguenais... Guilbaudeau... elle a été violée par une douzaine de volontaires dans un grenier ».
Mais les accusés ne seront pas interrogés à ce sujet.
La comparution:
L’interrogatoire des inculpés est mené par François Bignon, président du tribunal criminel extraordinaire du 2 eme arrondissement de l’armée de l’Ouest. Ce jeune capitaine parisien est un expéditif que nous avons vu à l’œuvre à Bouguenais les 3 et 4 avril 1794.
Dans une lettre à un ami, datée du 15 mars 1794, à l’occasion du procès de Lamberty et Fouquet, il se vante d’avoir jugé 4 000 personnes en quelques mois (Alfred Lallié a compté près de 3 000 condamnations à mort pour cette période, soit 3 sur 4 )
L’interrogatoire est fait en présence d’Elzear Aude, substitut de l’accusateur public David Vaugeois, d’un greffier, et peut-être d’autres membres qui ne sont pas cités.
- Beilvert comparaît en premier.
Il nie les différents vols décrits par Bignon, chez Marguerite Touzé, Jeanne Goujon, le couple Gadais, Marie Sorin, Jeanne Perrin.
Il se défend en mettant un cause un volontaire, sans donner son nom, précise qu’ils recherchaient des brigands, qu’il a tué le fils Lemerle et qu’il a été blessé à cette occasion.
Bignon décrit précisément ce qui a été volé chez la jeune Anne Gadais et demande si Guilbaudeau, Albran et lui, l’ont violé en la menaçant et en attachant sa mère.
Beilvert répond qu’ils cherchaient son père et son frère, des brigands, qu’ils ont saisi un fusil mais « qu’il ne s'y passa rien contre les mœurs et la probité, ce qu’il offre de prouver par des volontaires qui l’accompagnaient ». Il a bien vu « la fille Gadet » remettre des assignats à deux volontaires dont il ignore le nom mais rien de plus.
Bignon demande s’il a été chez les Joret et après les avoir tué, s’il est retourné tout piller dans la maison. Beilvert dit qu’il était à ce moment là chez Pierre Blineau (qui a témoigné avec la fille Jorret) à se rafraîchir.
Après relecture Beilvert signe
- Guilbaudeau passe à son tour.
Il nie, paraît assez sûr de lui, car dès la première question, il répond que personne peut prouver qu’il a pillé et volé dans plusieurs maisons.
Il prétend n’avoir jamais été chez la Chiron (Anne Perrin femme Chiron, voir plus haut son témoignage non daté, de vol). S’il a bien été chez Anne Gadais, avec Beilvert, Albran et un détachement, c’est que son père était brigand et ils ont saisi un fusil. Mais il nie l’avoir violée.
Rajout intéressant, écrit dans la marge, (suite à un aveu mais de qui? ) Bignon lui demande si « Albran la voyant pleurer ne lui dis pas qu’ils se marieraient ensemble qu’elle avait tort de se faire de la peine » ? Guilbaudeau répond que c’est faux. Faux également d’avoir attaché sa mère alors qu’ils « outrageaient » sa fille.
Concernant le couple Joret, il répond qu’on lui a dit qu’ils ont été tués en fuyant une perquisition alors qu’il était à ce moment là chez un certain Chambaud, farinier, à manger un morceau.
Il répète ne pas savoir signer.
- Albran, aux premières questions concernant des vols chez Marguerite Touzé, Jeanne Goujon (noté par erreur Boyer), Anne Perrin, Anne Gadais, répond brièvement qu’il n’en a aucune connaissance et qu’il n’en faisait pas partie.
Concernant le viol de la jeune fille qui semble l’accusation principale du dossier, il dit qu’étant sa parente, « il eut été un grand misérable s’il y avait participé ».
Quant à savoir s’il a été avec les brigands, il dit qu’un certain Lapierre (ancien domestique au château d’Aux, soldat dans l’armée de la Cathelinière) le força à le suivre, que les brigands le mirent en prison et qu’il fut délivré par l’armée de Beysser.
Il signe le procès verbal.
Les interrogatoires, assez brefs toutefois, menés par François Bignon, insistent surtout sur les pillages et les meurtres, moins sur les viols, seul celui d’Anne Gadais en effet est évoqué. Différence d’appréciation morale entre Cordier et Bignon ?
Le réquisitoire
Elzear Aude, substitut de l’accusateur du tribunal criminel militaire de l’armée de l’Ouest 2 eme arrondissement, prononce un réquisitoire où il développe une certaine emphase oratoire, courante à l’époque.
Extraits : « Si toutes les dénonciations qui me sont parvenues sont véritables, si des sentiments de crainte, de haine ou de vengeance ne sont point entrés dans l’âme des dénonciateurs, vous voyez à votre tribunal trois monstres qui ont souillé leurs mains de tous les crimes »
puis « C'est donc en extirpant les racines vénéneuses du crime […] que nous consoliderons un gouvernement qui fait le bonheur des Français et qui sera un jour la gloire et la prospérité du monde ».
et: « Beilvert Halbran et Guilbaudeau accusés de s’être livrés à toutes les horreurs du pillage, fléau destructeur qui a causé tant de ravages dans l’armée de l’Ouest, accusés de s’être portés envers une jeune fille à des excès tels qu’il vous feront frémir lorsque vous entendrez les détails de cette horrible affaire... »...
La vertu, la morale, et la justice, mais également la sûreté et la propriété sont donc mises en avant.
Il décrit assez précisément les vols, menaces et violences contre Anne Perrin, le viol d’Anne Gadais, et les meurtres du couple Joret. Mais ne parle pas des autres crimes dénoncés par la municipalité de Bouguenais.
En conclusion il : « accuse Beilvert, Halbran et Guilbaudau, d'avoir attenté a la sûreté et a la liberté des citoyens et de s'être portés envers eux à des voies de fait; je les accuse en outre, de vol, de viol et d'assassinat et je requiers que vous les jugiez conformément aux lois ».
Il ne demande donc pas de peine particulière, et s’en remet au tribunal, manière habituelle de se défausser.
Le verdict
Dix questions sont posées aux membres du tribunal criminel militaire le 22 juillet 1794 concernant les voies de fait, les vols, deux viols et un assassinat.
Les
jurés répondent qu’il y a bien eu des voies de fait et des vols
envers des particuliers de Bouguenais, que Jeanne Bautru, et la
« fille » Gadais ont été violées, que Simon Douaud a
été assassiné.
Mais « Il n'est pas constant que Beillevert, Guilbeaudeau et Hallebrant en furent les auteurs ».
En conséquence le tribunal décharge les 3 hommes de toute accusation et ordonne qu’ils soient mis en liberté... sauf Albran, retenu pour d’autres affaires probablement à cause de son passé de « brigand ».
On imagine la déception des uns et le joie des autres.
Le lendemain, 23 juillet 1794, Bô et Bourbotte ordonnent le renvoi des membres du Comité révolutionnaire de Nantes et de quelques comparses, au Tribunal révolutionnaire de Paris. Ils apprendront durant leur transfert dans la capitale la chute de Robespierre et de ses amis.
Une page de l’histoire se tourne.
A la lecture de ce premier procès on peut faire quelques remarques :
-malgré la terreur et la dictature, une justice, avec ses procédures, existe. Parodie ? Avec le recul oui, peut-être, mais les jacobins de l’époque, en tous cas ceux qui détiennent le pouvoir, paraissent vouloir sincèrement réprimer ce qu’ils considèrent comme des abus dans la dictature ou la terreur (la terreur sans la vertu est funeste...) : le vol, le viol, le meurtre délibéré.
Mais puisque la révolution a encore besoin d’hommes sans trop de scrupules on édulcore les accusations et on absous les coupables au bénéfice du doute. Ils peuvent resservir.
- cette justice, très procédurière, ne s’applique pas aux ennemis de la révolution et ils ont été de plus en plus nombreux. On commence par éliminer ses ennemis mais on finit par ses amis selon la maxime bien connue.
- Des premières dénonciations des municipaux de Bouguenais, l’instruction puis les jurés ne retiennent que les 2 viols, le meurtre de Simon Douaud achevé dans son lit et des excès considérés de manière globale comme des « voies de fait » et des vols.
On considère peut-être qu’il ne faut retenir que l’essentiel dans une période troublée ou les excès sont nombreux.
Elles paraissent d’ailleurs bien timides, les plaintes initiales, par rapport à la réalité. Depuis plusieurs mois des détachements du camp de la Hibaudière parcourent les environs.
Quand s’ouvre le procès, on compte déjà à Bouguenais seul, plus de 20 exécutions sommaires sur place (une centaine à Pont Saint Martin), près de 40 morts en captivité, 7 exécutions à Nantes et plus de 20 disparitions, sans jugement, au château d’Aux, (en plus des fusillés des 2 et 3 avril 1794).
Sans compter le bétail, les provisions, les outils et bien souvent « tout le ménage » qui a été réquisitionné ou volé et a donc provoqué des morts indirectes ultérieures.
Il est vrai que les notables qui transmettent ces accusations ne reviennent chez eux que vers la fin avril 1794, et ne recueillent sans doute pas toutes les plaintes, surtout celles émanant de familles de « brigands ». Ils agissent avec prudence, en cette période de dictature révolutionnaire, écartelés entre leur devoir, leur convictions, et les liens familiaux, amicaux, créés au sein des villages.
Le second procès : janvier à octobre 1795
Beilvert et Guilbaudeau sont remis en liberté à partir du 22 juillet 1794, quelques jours avant la chute des robespierristes, le 27 du même mois.
Le vent nouveau thermidorien change bien évidemment la donne et favorise quelques vengeances locales.
Entre fin juillet et fin décembre 1794 une dizaine d’hommes de Bouguenais, dont plusieurs sont de simples réquisitionnés, sont tués par des inconnus ou des « brigands ».
François Albran maintenu en détention pour d’autres affaires (sans précision) libéré à son tour (après le 29 septembre date d’une lettre de protestation de sa part) est retrouvé assassiné non loin de chez lui le 23 décembre.
Pour mémoire, Carrier, Pinard et Grandmaison ont été exécutés le 16 décembre 1794 à Paris, mais les membres du Comité révolutionnaire de Nantes et plusieurs autres accusés, une trentaine, ont été acquittés, considérant qu’ils n’ont pas eu, malgré leurs crimes « d’intention criminelle ou contre-révolutionnaire ».
Le décret d’amnistie du 2 décembre 1794 « pour les rebelles de la Vendée et des Chouans » a permis toutefois d’apaiser un peu les tensions et d’initier une politique de pacification, qui aboutira, malgré de brusques retours en arrière, sous le commandement de Lazare Hoche.
Mais début 1795, les comptes ne sont pas tout à fait réglés. Il reste une hostilité sourde de la population, des haines ruminées depuis longtemps, des désirs de vengeance, d’autant que Beilvert, contrairement à Guilbaudeau, poursuit ses activités de guide au camp de la Hibaudière.
Si la première dénonciation instruite dans ce second procès des guides du château d’Aux est datée du 5 juillet 1794, donc avant la conclusion même du premier, les nouvelles plaintes vont s’accumuler et certaines, bien sûr, marqueront davantage les esprits.
Il faudra toutefois attendre plusieurs mois pour qu’elles soient examinées.
Le dossier du second procès est instruit en premier par le directoire du district de Nantes qui interroge Beilvert le 23 janvier 1795, date de son arrestation puis de détention au Bouffay.
Constatant la gravité des accusations les pièces sont envoyées, mais par erreur parce qu’elles concernent des militaires, au tribunal criminel du département, qui les retournent au district le 7 février. Après cet aller-retour, elles sont adressées au tribunal criminel militaire le 11 février dont l’accusateur est David-Vaugeois et son substitut Elzear Aude.
1) les accusations
- le 5 juillet 1794 : des menaces de Beilvert
Cette accusation du 5 juillet 1794 a peut-être été oubliée ou retardée lors du premier procès, mais les municipaux de Bouguenais rapportent par écrit le témoignage de Maurice Touzé (probablement celui qui a déjà témoigné au premier procès).
Beilvert, en présence de Pierre Fleury, après l’arrestation de la municipalité et les exécutions massives de la commission Bignon, s’est vanté le 5 avril 1794 « que le lendemain il irait à Bouguenais tuer le reste des hommes femmes et enfants qu’il trouverait sur la commune » et de fait, ajoutent les notables, « il en tua avec sa compagnie neuf dans un village nommé les Bauches du Dézert et en tuèrent encore plusieurs dans d’autres villages aux Couëts ».
- le 18 octobre 1794 : les meurtres du Pressoir,
Ces trois meurtres ont sans doute particulièrement choqué les républicains locaux.
La municipalité de Saint Aignan rend compte, le 18 octobre 1794, comme le district le lui demande, des évènements dans sa commune. Ils racontent que dans la nuit du 15 au 16 octobre 1794, une patrouille, revenant de Pont Saint Martin, avec Beilvert, est passée par le lieu dit le Pressoir.
Trois femmes, mères de jeunes enfants dont l’une était enceinte de 6 mois, ont été assassinées alors qu’elles faisaient du raisiné (probablement dans la maison d’un pressoir collectif). Or les maris de ces femmes avaient été « massacrés par les brigands » fin septembre, au moins celui de la femme enceinte, les déclarations ultérieures se contredisent sur ce point.
Ils se plaignent en outre que : « notre commune est pillée la nuit par les brigands et le jour par les volontaires ».
Dans la lettre d’envoi de la déclaration, ils accusent nommément Joseph Beilvert « maréchal des logis des guides de l’armée de l’Ouest » d’avoir fait partie de cette patrouille du château d’Aux qui passait à Pont Saint Martin.
Le comité de surveillance de Nantes décide d’inscrire cette déclaration sur son registre, afin d’en souligner la gravité.
Un certain Kirouard (probablement François Kirouard, capitaine de navires, marié à Saint Aignan mais habitant Nantes rue du château) révolté par cet acte fait également une longue déposition le 19 octobre :« Je vous demande au nom de l’humanité, citoyens, que vous preniez en considération l’exposé et qu’à l’avenir pareille horreur n’arrive pas ».
Il confirme les meurtres, précisant que 2 femmes de Saint Aignan (dont l’une vit chez lui, une parente ou une employée peut-être) peuvent en témoigner. Il indique que l’une des tuées, la veuve Prou, dont le mari a été tué par les brigands, « leur demanda en grâce de la laisser vivre, que si on n’avait pas d’égard pour elle, au moins pour l’enfant qu’elle portait car il faut vous dire qu’elle était grosse de six mois. » Les volontaires qui ont commis ce triple meurtre ont été en outre trop imprudents et trop bavards, ayant parlé de leur forfait chez les citoyennes Leturque.
Ils retournent de plus le lendemain pour piller la maison du Pressoir avec Beilvert, qui s’y oppose : il sait a priori que c’était une maison de « patriotes ». Ils lui rétorquent que c’est là qu’ils ont tué la veille les 3 femmes.
Jeanne Chevalier, (on apprendra qu’elle est fille de confiance à la maison du Pressoir) témoigne de ce fait devant deux officiers municipaux de Saint Aignan le lendemain, 20 octobre.
Kirouard le confirme également par écrit et ajoute que plusieurs républicains de Saint Aignan, certains réfugiés à Nantes, cités nommément, peuvent donner des renseignements à ce sujet, deux d’ailleurs « étant en patrouille la nuit du massacre ».
- le 19 octobre 1794 : les meurtres de Bretagne et Ollive,
dans la foulée de ces dénonciations, François Chaigna, greffier de Saint Aignan, témoigne le 19 octobre qu’il s’est trouvé fin septembre 1794 avec une patrouille du château d’Aux, dont faisait partie Beilvert, et qu’au Fretty, village de Pont Saint Martin, 2 hommes François Bretagne et Martin Ollive, pères de familles nombreuses, furent pris et fusillés sur place (on ne retrouve l’acte de décès que du second). Il ajoute que deux autres personnes peuvent en témoigner.
- Le 20 novembre 1794 : déposition de la municipalité de Bouguenais.
Un mois plus tard, le 20 novembre 1794, la municipalité de Bouguenais, réunie aux Couëts, signe une longue liste de dépositions de ses concitoyens allant du 28 avril au 5 juillet 1794.
Plusieurs de ces dénonciations ont déjà été adressées les 2 et 5 mai 1794 au district de Nantes et relèvent donc du premier procès.
On y retrouve les pillages précédemment dénoncés par Françoise Lefèvre, Marie Sorin, Anne Perrin, le viol d’Anne Gadais, la dénonciation par Louis Moisdon d’Albran qui aurait tué 5 bleus, les meurtres des parents d’Anne Jorret, les enlèvements de plusieurs jeunes filles (on apprend à cette occasion qu’un jugement de la commission militaire du château d’Aux les a libérées le 2 mai donc dans la journée ou le lendemain de leur arrestation),
Mais le dossier initial s’est alourdit de nouvelles plaintes :
- François Bachelier, commissaire au château d’Aux, et Mathurin Bureau dénoncent le pillage le 26/27 avril (1794) commis chez la veuve Gautier et ils précisent que Guilbaudeau était « vêtu par-dessus son habillement d’une chemise de femme ». François Bachelier, que nous avons déjà rencontré dans le premier procès, dénonciateur auprès de la commission Bignon, témoigne cette fois contre son ancien camarade.
- Clair Chesneau indique que cette nuit-là Beilvert et Albran avec une cinquantaine d’hommes ont été dans les villages de la Matrasserie et de la Pagerie et « ont pillé des effets en harde, linges et assignats jusqu’à ôter les anneaux aux femmes»
- Anne Léauté des Bauches du Dézert (ou Désert) déclare qu’au mois de mars 1794 Guilbaudeau accompagné d’un autre homme voulut la violer et comme elle se défendait il la maltraita à coups de sabre, la mit tout en sang et que seul l’arrivée de témoins l’empêcha d’être tuée.
- Charles Ordronneau charge encore Albran en disant qu’il incitait les jeunes gens à ne pas aller à la réquisition.
Dans cette déposition du 20 novembre 1794, il est rappelé que le 5 juillet Mathurin Assailly, Julien Odronneau, Julien Mocquard, des « municipaux » ont déjà envoyé au district, au comité révolutionnaire et à la commission militaire l’ensemble de ces déclarations. Elles sont toutefois, comme on l’a vu ci-dessus, complétées et remises au goût du jour, mieux rédigées. Et on va découvrir l’un des objectifs de cette nouvelle version.
Les municipaux en effet après s’être étonnés que seul Albran, sur les trois guides mis en cause, reste en prison, alors que Jean Lefèvre, l’un des leurs, est toujours enfermé aux Pénitentes, s’indignent :
« aujourd’hui tout doit se découvrir, on ose dire que la municipalité a participé dans cette fusillade au château d’aux comment est-il possible que pareille calomnie puisse être répandue ! »
Suit une longue diatribe où on comprend que la population les soupçonne d’être en partie responsables des exécutions, alors que « deux notables patriotes ont été fusillés » et que « défense fut faite de laisser approcher de 10 pas ceux qui avaient pu faire quelque réclamations aux membres détenus. Également défense fut faite à ceux qui étaient auprès des juges de rien dire sur les habitants, que l’on espérait cependant sauver en cas qu’ils ne fussent pas coupables ».
Ils sont sept à signer cette déposition, dont le maire Guihokerlégand (Guiho de Kerlégand).
2 ) premier interrogatoire le 23 janvier 1795
Face à ces dénonciations, le comité de surveillance du district de Nantes, présidé par Louis Anselme Garreau, se décide à agir 2 mois mois plus tard.
En vertu d’un mandat d’amener du 21 janvier 1795, Beilvert est incarcéré le 23 à Nantes, au Bouffay, et le comité le fait aussitôt comparaître, à 7 heures du soir.
L’interrogatoire est assez long, contrairement à ceux qu’on a pu lire jusqu’à présent et chaque page est contresignée par Garreau, Beilvert et le délégué du comité.
Il répond qu’il est maréchal des logis de la 3 eme compagnie des guides de l’armée de l’Ouest, attaché à la garnison du château d’Aux, sous les ordres de Muscar depuis octobre 1793.
Concernant les meurtres du Pressoir il dit qu’il ne connaît pas la maison mais qu’il sait que cette nuit là, étant en détachement à Pont Saint Martin, plusieurs brigands, hommes et femmes ont été tués.
Pour les exécutions sommaires du Fretty, il dit qu’il a tué différentes personnes qui s’enfuyaient après des tirs sur son groupe et qu’il a ensuite amené au tribunal révolutionnaire les nommés Fetiveau (fusillé dans les carrières de Gigant en février 1794) et Léchappé sur mandat d’arrêt du juge de paix de Bouaye, mandat qu’il n’a pas gardé.
Il précise qu’il a pris l’argenterie de l’église trouvée chez Nicolas Bretagne qu’il a également emmené au tribunal révolutionnaire (fusillé dans les carrières de Gigant en janvier 1794) et Léchappé (Mathurin, mort en prison le 26 04 1794).
Quand on lui fait remarquer qu’il est défendu à la troupe d’entrer chez les particuliers sans mandat, il répond « qu’il n’a jamais marché que sous les ordres du commandant et que ses fonctions se bornaient à guider les troupes et qu’il n’a pas fait autre chose ».
Concernant les rafles organisées à Bouguenais, il se défend en disant qu’il a arrêté des hommes rassemblés, en armes, et que c’est la commission Bignon qui les a jugés, en deux fois, le croit-il. Les femmes environ 80, ont été emmenées au Sanitat à Nantes (une liste de 75 femmes de Bouguenais, sans autre précision, se trouve effectivement aux AD 44 L 1508).
Il dit avoir eu connaissance toutefois que 17 hommes de Saint Aignan ont été arrêtés par ordre de leur municipalité puis fusillés, qu’ils les a vu en prison en revenant de Sainte Lumine mais qu’il n’en sait pas plus.
Concernant 5 habitants de Bouguenais fusillés sur place, dont Laurent Hegron (tué à sa porte le 12 avril 1794 ) il répond également qu’il n’a pas connaissance de ces faits.
Il est à peine plus précis pour la rafle du 31 mars : « la troupe se porta sur deux colonnes vers Bouguenais, et qu’il fut saisi plusieurs centaines d’hommes et de femmes, qui furent liés, et conduits au château d’Aux […] qu’il en fut fusillés une grande quantité, que les hommes et les femmes furent jugés par la commission militaire, les hommes condamné à être fusillés et les femmes à tenir prison au Sanitat au nombre de plus de 80 ».
Lorsque, probablement Garreau, lui demande si le fait d’assassiner des hommes rentrés dans leurs foyers, sans arme, suite à l’amnistie promise (celle du 2 décembre 1794 ) n’est pas une provocation à un soulèvement général, il répond que son devoir se bornait à guider les troupes et qu’il n’a pas fait autre chose.
Sa ligne de défense est donc de se présenter comme un simple exécutant qui ignore la plupart des faits évoqués.
Dans les notes annexées à l’instruction, mais non datées, figurent une longue liste de témoins qui « peuvent donner des renseignements concernant l’affaire de Beilvert » et il est précisé qu’il est détenu au Bouffay. On y trouve des notables de Bouguenais (Ordronneau, Assailly, Clouet…) une bonne vingtaine d’habitants de Saint Aignan, dont plusieurs du Pressoir et un seul de Bouaye.
On trouve également 12 noms de « citoyens qui ont été tués en présence de Beilvert par la troupe du château d’aux sous les ordres de Muscar […] de la paroisse de St Aignan fusillé le même jour dans la prairie de la maison de St Aignan »,
et, en rajout : « Bru laboureur et ses 2 filles »
On trouve également l’ordre d’élargissement de Beilvert de l’année précédente (mais datée du 29 août, erreur de date, libération repoussée ?), la copie des reçus du premier procès pour les marchandises déposées, et la copie d’un certificat de civisme concernant Beilvert, qui est en fait une nouvelle rédaction de la pétition du 7 mai 1794 des officiers du camp de la Hibaudière (mais on n’y retrouve pas le nom de « Brutus » Hugo).
3) les dépositions et auditons des témoins du 22 au 27 février 1795
Le district de Nantes a donc envoyé, par erreur, mais on ignore quand (début février 1795 ?) les dépositions d’octobre 1794 au tribunal criminel.
Par plusieurs délibérations de février 1795, on apprend que le tribunal criminel les retournent jugeant que cela ne le concerne pas.
Le district les fait parvenir alors au tribunal criminel militaire, précisant dans un courrier « au président du tribunal militaire séant à Nantes : Citoyen, nous t’envoyons l’affaire criminelle concernant les nommés Beillevert Guibaudeau et Albran nous t’invitons a poursuivre promptement les accusés attachés à l’armée parce que l’envoi fait par erreur au tribunal criminel du département a retardé leur jugement. Salut et fraternité ».
Pour Albran, c’est déjà trop tard. Il a été tué, et probablement par des « brigands ». Son acte de décès indique : « François Albran, laboureur, garçon, 40 ans, demeurant au village de la Motte a été tué et trouvé au village des Chaudières le 30 décembre 1794 ».
C’est donc le 22 février 1795 que David-Vaugeois, accusateur près le tribunal criminel du 2 eme arrondissement de l’armée de l’Ouest, commence à instruire le second procès des guides du château d’Aux, soit Beilvert et Guilbaudeau.
Les accusations ne proviennent plus uniquement de Bouguenais, mais également de Saint Aignan Bouaye, Pont Saint Martin et Saint Léger (les Vignes).
En effet, depuis les meurtres du Pressoir et les dépositions de Bouguenais, le dossier s’est encore alourdi.
Pierre Lemerle, tonnelier de Bouguenais, fait une déposition écrite datée du 9 février 1795 (affaire qui remonte à fin mars 1794, déjà évoquée lors du premier procès mais non retenue). Beilvert a tué son frère sur place, les a emmené en prison son père et lui. Il en a profité pour voler des objets de valeur puis est revenu à 3 reprises pour emporter le reste de leurs affaires. Il ajoute « il fut cause que plusieurs de ma commune passèrent aux brigands » (pour rappel son père est mort en prison le mois suivant son arrestation).
Des témoins de Bouaye, de Saint Léger, s’étant manifestés, peut-être poussés ou soutenus par leur municipalité, David-Vaugeois procède à leur audition les 22 et 23 février.
Le premier jour, ce sont 13 femmes de Bouaye qui témoignent, les veuves de la mort de leur mari, les célibataires de celle de leurs parents et presque toutes du pillage de leur maison.
La plupart des victimes ont été fusillées au château d’Aux, quelques unes sur place et deux sont mortes en prison. On retrouve à l’état civil tous les actes de décès, déclarés souvent longtemps après, ou dans les listes de reconstitution, indiquées à quelques jours près selon les dates déjà connues.
Aucune des 13 déclarantes ne sait signer, et David-Vaugeois signe chaque déposition.
Onze de ces témoignages rapportent une expédition menée entre le 23 et 25 mars à Bouaye par Beilvert et Guilbaudeau, aidés à l’occasion de volontaires dont 8 sont désignés nommément, tous de Bouaye apparemment.
- Rose Bouillé dépose que le 25 mars 1794 deux volontaires ont pris son mari et leur voisin Pierre Fouché. Ils les ont enfermés dans la soue à cochons pour les remettre le lendemain à Beilvert. Ils furent alors emmenés avec plusieurs autres au château d’Aux où son mari fut fusillé à peine arrivé. (son acte de décès est daté du 25). Elle précise qu’il devait partir le lendemain pour servir la République (il a 36 ans).
- Marie Richardeau de Bouaye également déclare que le 22 mars 1794, trois volontaires dont Beilvert pillèrent tout chez elle et que 2 jours plus tard son mari, réfugié chez son frère à l’Epine, fut massacré par Pierre Boutet (ou Boutais) -un volontaire que l’on retrouvera à plusieurs occasions- et Guilbaudeau commandés par Beilvert (acte de décès daté du 28).
- Marie Allaire de Bouaye, belle-sœur de la précédente, confirme que Guilbaudeau donna un coup de pistolet dans le cœur de son beau-frère, Boutet lui tira dans la tête avec son fusil. Beilvert s’interposa pour son mari afin de l’emmener plus loin à l’Etier et il le fusilla le lendemain avec onze autres (acte de décès du 25 mars). Il revint le lendemain la menaçant de « lui couper le col » si elle ne retrouvait une pièce de son pistolet qu’il avait perdu, heureusement récupérée par une voisine. Quelques jours après, un certain Pierre Hervé vint lui enlever une vache sur ordre de Beilvert. Ce dernier avec Guilbaudeau lui volèrent ensuite toutes ses vendanges.
- Perrine Allaire, célibataire, de la Roderie, témoigne que dans les premiers jours de mars 1794 Beilvert avec un détachement prirent tout ce qu’ils trouvèrent chez sa sœur Anne et que le 25 mars Beilvert revint « prit sa sœur ci-dessus désignée, la garrotta comme une criminelle, renversa son bébé d’un mois et l’emmena au château d’Aux où elle fut fusillée » (son acte de décès est datée du 28)
- Marie Jamet, de la Roderie raconte qu’un détachement de volontaires ayant rencontré son mari il l’attachèrent et le conduisirent avec d’autres au château d’Aux où ils furent fusillés (ace de décès de son mari daté du 26). Guilbaudeau, 15 jours après, revint lui voler un veau, puis ce furent deux volontaires, Hervé et Sorin qui lui prirent sa vache, sa dernière ressource
- Michelle Chocteau, célibataire de la Roderie, déclare que lorsque l’armée de Mayence (probablement un détachement du 8 eme bataillon du Bas-Rhin) passa, Beilvert prit tout ce qu’ils purent emporter de chez sa mère, qu’il revint le 23 pour emmener sa mère au château d’Aux où elle fut tuée (décès daté du 24).
- Perrine Senard, de Crenne, indique que le 24 mars au soir, Beilvert avec un certain Berthebaud et Boutet vinrent chercher son mari, alors couché et que malgré ses protestations, ils l’emmenèrent au château d’Aux où il fut fusillé le lendemain (décès daté du 25).
- Perrine Bonneau du Pré Garreau, désigne Beilvert, Guilbaudeau, Pierre Boutet et Pierre Blineau qui se présentèrent chez eux le 23 chercher son beau frère disant qu’il était « à l’armée de Jésus ». Beilvert revint le 25 avec Berthebaut, maréchal à Bouaye, et Pierre Guillou, également maréchal, ils prirent son mari qui montait la garde pour la municipalité à Crenne et allèrent le fusiller au château d’Aux (décès du 25). Beilvert revint à 2 reprises pour prendre des affaires que le citoyen Arnoud avait entreposées chez eux (voir Arnoud du premier procès).
- Anne Leray, de la Jouetterie, déclare que le 25 mars Beilvert, Pierre Sorin, Pierre Guillou et Guillaume Berthebaud emmenèrent son mari avec 9 autres au château d’Aux où ils furent fusillés (décès daté du 25)
- Michelle Buaud de la Tindière, raconte que vers la mi avril, Berthebaud et Pierre Sorin arrêtèrent son mari pour l’emmener au bourg et qu’ensuite Guilbaudeau et Beilvert le conduisirent à la prison des Saintes Claires à Nantes où il est mort (décès daté du 29 avril)
- Marie Cheneau de la Roderie, fait remonter au 4 octobre la venue de Beilvert et Guilbaudeau pour prendre son mari et le mettre en prison à Nantes où il est mort (décès daté 1 er juin 1794)
- Jeanne André, célibataire de la Tindière, indique que le 9 janvier Beilvert, Guilbaudeau et Pierre Sorin prirent son père qui était à couper du jonc et qu’ils l’emmenèrent au château d’Aux où il fut fusillé (décès daté du 10)
- Julienne Chocteau, également de la Tindière, célibataire, déclare que le 23 mars Beilvert avec des volontaires vinrent prendre ses parents et qu’ils furent fusillés au château d’Aux, son père le 24 et sa mère le 28 ( à l’état-civil la date de décès de son père est fixée au 20 03 1795, un an après, et le décès de sa mère n’est pas daté). Quelques temps après Pierre Hervé et Vincent Sorin revinrent lui enlever un cheval et une vache, que François Fruneau, Pierre Boutet (cités en marge) et Beilvert lui volèrent son grain pour 10 boisseaux, (le boisseau mesure très variable selon les régions, était de l’ordre d’une vingtaine de litres) et son avoine pour 50 boisseaux.
Le deuxième jour d’audition, 23 février, ce sont 8 témoins dont 4 veuves de Bouaye, 2 hommes et 2 femmes de Saint Léger, qui comparaissent devant Elzear Aude, le substitut de David Vaugeois, probablement empêché.
Les veuves relatent les meurtres de leur mari, deux témoins celui de leur père et un troisième, membre de la municipalité de Saint Léger, l’exécution sommaire de plusieurs habitants, sans précision du nombre, de Saint Léger réfugiés à Saint Mars (du Coutais) suite à l’incendie de leurs maisons par l’armée.
Plusieurs volontaires là encore nommément désignés ont participé aux exactions.
Les témoins poursuivent leurs plaintes :
- Jean Jehan, forgeron de Saint Léger, indique que début janvier 1794, au village de Chauché, Beilvert, Guilbaudeau et deux autres emmenèrent son père à Port Saint Père et que sur l’accusation de Beilvert d’être brigand son père fut fusillé malgré son certificat de civisme (acte de décès du 10 janvier). Il signe sa déposition avec Elzéar Aude
- Marie Leroux de Saint Léger déclare que début janvier également Beilvert et les autres (dont les noms sont notés en marge) emmenèrent sa famille. Beilvert fit fusiller son père et son mari malgré les attestations données par leur municipalité et le commandant de Port Saint Père (actes de décès datés du 9 janvier). Sa mère et ses 2 sœurs furent renvoyées le soir.
- Julienne Leroux de Saint Léger déclare que début février Beilvert et les autres l’emmenèrent avec ses parents à Port Saint Père et qu’elle a entendu dire que son père a été fusillé sur ordre de Beilvert (pas d’acte de décès trouvé). Elle est parvenue, avec sa mère, à échapper « à la fureur de cet homme » grâce à des volontaires
- Julien Mainguy, laboureur et membre de la municipalité témoigne que dans le courant avril 1794 l’armée (de Mayenne, de Mayence ? Mais plus probablement cette dernière, le bataillon du Bas-Rhin au château d’Aux était rattaché à l’armée de Mayence) mit le feu à tout le bourg et que les habitants demandèrent l’autorisation de se réfugier à Saint Mars (de Coutais), ce qui leur fut accordé. Il a entendu dire que Beilvert se rendit sur place à Saint Mars et « qu’il en emmena les habitants au Port Saint Père et que là il les fit fusiller, qu’en sa qualité d’officier municipal et par les relations qu’il avait avec certains habitants, il atteste que plusieurs d’entre eux étaient des citoyens paisibles qui jamais n’avaient pris part à la Révolte ».
Il déclare aussi que François Loirat, charpentier charron de Bouaye donna 200 livres à Beilvert pour que son frère soit libéré.
Il cite 3 noms de fusillés Jacques Leroux, son gendre (père et mari de la témoin citée plus haut, Julienne Leroux) et Michel Jacques. (pas d’acte de décès trouvé pour ce dernier)
Il signe avec E. Aude
Viennent ensuite les 4 veuves de Bouaye :
- Marie Chocteau, Marie Breton et Jeanne Beilvert témoignent que leurs maris furent emmenés au château d’Aux pour y être fusillés (actes datés des 23 et 25 mars 1794). La première précise que les volontaires revinrent voler 2 barriques de vin.
- Marie Moreau déclare que son mari fut réquisitionné « pour aller travailler au château d’Aux mi avril et qu’il fut emmené ensuite aux Saintes Claires où il est mort » (acte de décès du 1 er juin).
Une troisième audition se déroule le 27 février pour la seule Elisabeth Bachelier de Saint Léger, avec David Vaugeois.
Lors des vendanges 1793 Beilvert et une centaine d’hommes dit-elle, pillèrent tout ce qu’ils purent trouver chez elle, et lui volèrent 150 livres. Beilvert la maltraita ainsi que sa mère. Elle essaya de l’amadouer, en vain « ses caresses parurent encore animer davantage ce monstre à la férocité ; et qu’il la frappa elle-même ». Ils emmenèrent 9 habitants à Bouaye où le commandant plus humain les libéra. Elle signe avec l’accusateur.
4) suite de la procédure, défense de Beilvert
Le 24 mars Beilvert adresse au tribunal criminel militaire un courrier pour se plaindre du vol, dans différents entrepôts qu’il possède, de 61 barriques de vin. Sa détention depuis le 23 janvier, et dont il ignore les motifs, lui cause du tort, explique-t-il, à lui et à la République parce qu’il ne peut pas mettre ses terres en valeur, ni les ensemencer.
Le 6 mai une perquisition a lieu chez les deux guides, Beilvert et Guilbaudeau, qui louent des chambres à Nantes, rue de l’Hermitage, en bordure de Loire.
Chez Beilvert on trouve du linge (7 ou 8 couettes, des couvertures, des draps..), chez Guilbaudeau peu de choses de valeur, également du linge, du blé, des habits. Les scellés sont posés.
La procédure traîne en longueur et Beilvert, emprisonné, s’impatiente de nouveau.
Si sa lettre n’est pas datée, Jary le représentant du peuple, auquel elle est adressée, la renvoie le 19 juin 1795 à l’officier de police pour qu’il s’informe et donne son avis.
Beilvert écrit qu’il n’existe aucune accusation contre lui, qu’il n’a pas été interrogé et joint des « certificats honorables » à sa lettre, peut-être ceux qu’il a déjà présentés à son premier procès.
Opportunément, des officiers municipaux et quelques habitants de Bouaye, adressent le 27 du même mois une lettre au représentant.
Beilvert, écrivent-ils est emprisonné au Bouffay à cause de l’intrigue et de la calomnie de quelques habitants de Bouguenais. Mais il est la terreur des scélérats, n’a jamais fait que son devoir, et il a déjà été acquitté. Ils demandent donc qu’il soit ou mis en liberté ou jugé rapidement. Dans les signatures on relève quelques noms cités dans différentes exactions : Berthebaud, Blineau, Sorin...
François Joseph Jary est un conventionnel girondin, emprisonné pendant la terreur, qui a échappé de peu à la guillotine. A cette époque il est représentant du peuple près de l’armée de l’Ouest.
En Vendée la situation s’est un apaisée. Hoche, incarcéré lui aussi sous la Terreur, remet de la discipline dans l’armée républicaine et prône une politique d’apaisement.
Le traité de la Jaunaye, auquel Jary participe, a été signé le 17 février par Charette, celui de Saint Florent le sera le 2 mai par Stofflet. Mais les actions de guérilla et de répression continuent. La méfiance, de chaque côté, persiste.
L’échec du débarquement de Quiberon le 6 juillet 1795 redonne toutefois un avantage décisif aux armées républicaines.
Le 29 août 1795 Hoche sera nommé à la tête de l’Armée de l’ouest en remplacement du général Canclaux et sera perçu comme le « pacificateur » de la Vendée.
Qu’est devenu le dossier d’instruction au tribunal criminel militaire ?
Suite à l’affaire des trois veuves assassinées à la maison du Pressoir, une enquête est menée par Nicolas Coulon, un officier de police militaire et de sûreté générale, comme Cordier, du premier procès.
Le 3 juillet David Vaugeois lui a envoyé une requête des officiers municipaux de Bouaye en la faveur de Beilvert. Il lui demande de joindre cette pièce aux autres qu’il lui a envoyées le 14 mars.
5) second interrogatoire de Beilvert le 23 juillet 1795, témoignages de volontaires
Le 23 juillet Coulon procède à l’interrogatoire de Beilvert.
Celui-ci se dit marchand de vin et maréchal des logis, en garnison au château d’Aux jusqu’au 23 janvier 1795 date de son arrestation, quelques jours avant le remplacement de Muscar par Gauthier, commandant du 4 eme bataillon de l’Hérault.
Coulon lui demande si, outrepassant les bornes de sa fonction, c’est à dire la conduite des colonnes de l’armée, il ne mettait pas partout la terreur à l’ordre du jour, désignant les habitants de Saint Léger, Saint Mars, Bouaye et autres comme brigands ? S’il n’a pas pillé et incité au pillage ? S’il n’a pas conduit une partie des habitants au château d’Aux et à Port Saint Père pour les faire fusiller, sans aucune forme de procès, notamment Michel Jahan, Pierre Bretagne, Julien Bichon ?
Beilvert répond qu’il n’était pas nécessaire de mettre la terreur à l’ordre du jour, qu’elle y était déjà. Il désignait les brigands, mais n’avait aucun ordre à donner à la troupe, c’étaient les commandants ou les commissions qui décidaient de les fusiller.
Il nie également avoir commis aucun vol ni pillage. Il les a même empêché autant qu’il a pu et « que le courage, la fermeté et la bravoure avec lesquelles il a combattu les brigands dans plus de 40 combats suffisent pour prouver qu’il n’est pas fait pour être un lâche assassin. »
Il réfute l’accusation de François Loirat qui lui aurait remis 200 livres en échange de la liberté de son frère. Son seul désir est de servir sa patrie et la cause de la liberté affirme-t-il. Il aurait pu vingt fois s’enrichir, par exemple lorsque Nicolas Bretagne chef des brigands guillotiné à Nantes lui a offert 125 louis en or. (Nicolas Bretagne, 37 ans, laboureur à bœufs a été fusillé -voir plus haut- Il avait été élu maire de Pont Saint Martin par une assemblée « dissidente » le 11 décembre 1791. Chef des « brigands » peut-être mais aurait-il disposé de 125 louis en or ?).
Concernant la mort des frères Jean et Clair Bouillé il prétend qu‘ils furent conduits au château d’Aux mais que Clair, voulant s’évader a été tué par des militaires (décès déclaré le 25 mars 1794 pour Jean au château d’Aux, et le 28 pour Clair mais sur place). Il précise que c’étaient de « fameux brigands ».
A propos du pillage chez Marie Richardeau, la veuve de Clair Bouillé, il répond qu’il ne peut répondre des écarts de la troupe mais qu’aucun brigand n’a été fusillé par ses ordres. Il précise toutefois que s’il se repent d’une chose, c’est de ne pas les avoir fait saisir tous, et qu’il en a toujours été la terreur mais « que si de pareils témoins peuvent être entendus […] sur son compte, on n’a qu’à appeler Charette et toute son armée. Il n’y en a pas un qui ne dira que l’interrogé est un scélérat. »
Il nie les vols chez Anne Allaire (tuée au château d’Aux le 28 mars 1794), le couple Chocteau (tué également au château les 24 et 28 mars), Elisabeth Bachelier à Saint Léger.
Quand Coulon lui demande s’il n’a pas commis des meurtres, des vols à Bouguenais il répond qu’il a déjà été jugé et acquitté sur ses prétendus délits.
Concernant les meurtres du Pressoir, il rétorque que le chef du détachement a été en prison environ 3 mois à Nantes (et libéré ?) mais que lui n’a pas été inquiété, preuve de son innocence.
Enfin, selon lui, François Bretagne et Martin Ollive, tués au Fretty, ont été pris les armes à la main et exécutés sur ordre du capitaine du 8eme bataillon du Bas-Rhin (espérons que ce n’était pas Léopold Hugo…).
- le 1 er août 1795, Coulon recueille d’abord les témoignages de volontaires que nous avons déjà vu également à l’œuvre dans différentes expéditions.
Pierre Boutet/Boutais (voir le meurtre de Clair Bouyer) 40 ans, déclare qu’il a fait partie vers octobre 1794, d’un détachement du 11 eme bataillon d’Orléans. Attaqués par les brigands ils firent une incursion pour les poursuivre au lac de Grand Lieu. Ils apprirent en revenant vers Pont Saint Martin en rejoignant le gros de la troupe, que 3 femmes avaient été tuées à Saint Aignan. Beilvert étant resté avec lui il ne peut donc pas y avoir participé.
Mathurin Bruc, 17 ans, de Saint Aignan, guide de l’armée de l’Ouest cantonné au château d’Aux, confirme les propos de Boutais. Il faisait partie également du détachement qui alla vers le lac de Grand Lieu, vers la fin des vendanges et « qu’il peut affirmer que lui, ni Beilvert qui ne l’a pas quitté, n’ont pris ni l’un, ni l’autre, une part au forfait».
Pierre Gerard, 32 ans, et François Soret de Saint Aignan affirment ne pas avoir connaissance « des faits particuliers qui peuvent être imputés à Beilvert mais doivent à la justice et à la vérité de rendre hommage au patriotisme et au courage de Beilvert qui a toujours été l’ami des patriotes et la terreur des rebelles, qu’ils ne l’ont jamais vu commettre d’action indigne d’un républicain ».
Martin Lejay, de Saint Aignan, réfugié à Nantes, décrit à peu près la même scène. Il précise toutefois qu’il a entendu du bruit en passant avec la patrouille devant la maison du Pressoir accompagné de Beilvert. Mais ce n’est que lorsque le gros de la troupe les rejoignirent « qu’ils apprirent que 3 femmes avaient été tuées et qu’il atteste que Beilvert n’est ni auteur ni complice de ce forfait puisqu’il était au lac de Grand Lieu pendant qu’il a été commis »
6) Interrogatoire de Guilbaudeau le 15 août 1795 , poursuite de l’instruction
Le 15 août Coulon procède à l’interrogatoire de François Guilbaudeau « prévenu de complicité avec le nommé Beilvert ».
Guilbaudeau indique qu’il n’a pas de profession mais qu’il était guide de l’armée pendant environ un an. Il est resté au château d’Aux en cette qualité, jusqu’en thermidor de l’an 2, où il a été jugé et acquitté par le tribunal militaire de Nantes.
Quand Coulon lui demande si, en conduisant les colonnes il a « exercé » des vols, meurtres, viols et assassinats il répond : « qu’il n’a commis ni vol, viol, meurtre, ni assassinats et qu’il n’en a fait fusiller aucun, que quand les troupes en saisissaient, ils les conduisaient auprès des commandants ou de la commission militaire qui décidaient de leur sort, qu’au surplus il a été acquitté sur tous les prétendus délits par le tribunal criminel militaire et qu’il ne peut plus être remis en jugement pour les mêmes faits qui ne sont avancés que par des brigands qui lui en veulent. Qu’il nie tous les faits qui peuvent lui être imputés ainsi qu’il les a déjà niés parce que ce sont des calomnies. ».
Coulon insiste, cite le cas de Marie Richardeau à Bouaye, où il aurait tout pillé puis, deux jours après aurait tué son mari avec Boutais.
Il nie, répond que les crimes ne sont commis que par des brigands qui sont « des lâches ».
Pour le meurtre de Clair Bouillé et le vol de ses vendanges avec Beilvert, il nie de nouveau.
Concernant l’assassinat des 3 femmes du Pressoir, il répond qu’il en a entendu parler, mais qu’il n’était plus guide à l’époque.
Lorsque Coulon lui donne lecture des différents dépositions des habitants de Bouguenais il répond « qu’il niait tous ces faits qui sont de la plus grande fausseté, qu’il a déjà été acquitté là-dessus et que depuis son jugement il n’a plus été guide et est resté constamment chez lui. ».
Son interrogatoire se termine, il persiste et indique ne pas savoir signer.
L’officier de police Nicolas Coulon poursuit ses investigations.
Dans le dossier d’instruction on trouve 2 courriers l’un du 17 l’autre du 27 août 1795 favorables à Beilvert et Guilbaudeau.
- Le 17, ce sont des « habitants patriotes » de Bouaye, Brains, Port Saint Père, Saint Jean de Boiseau, Saint Aignan, Pont Saint Martin, Basse Indre, qui sont « suffoqués » par la détention du brave Beilvert, alors qu’ont disparu « les exécrables calomniateurs qui avaient des vengeances à exercer contre lui », Beilvert « l’un des plus zélés et des plus braves patriotes » qui sera toujours la terreur des royalistes. «...faites qu’il soit mis en liberté, c’est le vœu de tous ceux qui signent ici et d’un nombre infiniment plus considérable de citoyens illettrés. …] Ou qu’il soit mis en jugement »
Il y a 2 pages de signatures. On peut supposer que « la terreur des royalistes » a toujours des partisans.
- le 27 c’est Kirouard, le premier dénonciateur des trois meurtres du Pressoir, devenu soudain beaucoup plus prudent, qui atteste, brièvement, que Beilvert et Guilbaudeau ont toujours empêché que sa maison et celle de ses voisins soient pillées.
A propos du Pressoir justement :
- le 25 du même mois, Henri (Classin, Chassin?) de Nantes a indiqué qu’il a entendu parler de ces assassinats mais qu’il ne peut donner aucun renseignement.
- puis, le 27 Nicolas Coulon interroge 3 témoins indirects du drame.
François Kirouard, le capitaine de navires qui avait rédigé la lettre indignée du 19 octobre 1794, et la prudente attestation datée du 27 également, donc du jour même, est encore plus réticent devant l’officier de police. Il précise qu’il a eu connaissance de ces crimes par la citoyenne Chevalier (la fille de confiance de la maison du Pressoir). En effet, venant à Nantes où il réside, 13 rue Abelard (il indiquait rue du château auparavant) elle lui a raconté les meurtres ainsi que la venue, le lendemain, de Beilvert, qui aurait dit, selon elle « f…. ne pillez pas c’est une maison de patriotes. Sur quoi ils répliquèrent bougre tu nous dis que c’est une maison de patriotes et bien c’est là que nous avons tué hier les trois femmes aristocrates,.. ».
Kirouard insiste : ce sont les dires de la citoyenne Chevalier et Beilvert, d’après lui, a « toujours été la terreur et l’effroi des brigands. »
Sa déposition signée il revient quelques instants plus tard pour dire « qu’une erreur avait été commise dans sa déclaration et qu’au lieu de la citoyenne Chevallier dont il est fait mention dans sa déclaration c’était la citoyenne Perrine Bretagne veuve Bertreux demeurant à Saint Aignan qui lui avait fait le rapport » (sa parente ou employée citée plus haut ?). Il signe de nouveau avec Coulon, visiblement perturbé par cette affaire.
Jean Seyé, demeurant à Nantes place du Bouffay déclare « qu’il n’a aucune connaissance des délits dont peut être prévenu Beilvert qu’il a connu parce qu’il a été 2 ou 3 fois en détachement avec lui [...] qu’il n’a jamais été témoin d’aucun délit de sa part mais qu’il en a entendu parler plusieurs fois assez défavorablement et qu’il était la terreur des habitants des campagnes et surtout des brigands.. » mais précise-t-il : « la plupart de ceux qui lui en ont parlé défavorablement étaient des brigands ou le sont devenus par le suite. »
François Chaigna (le greffier de Saint Aignan qui a déjà témoigné le 19 octobre de l’exécution sommaire de François Bretagne et Martin Ollive) indique qu’il connaît Beilvert mais qu’il ne sait rien des délits reprochés. Il a eu connaissance, par la citoyenne Chevalier, des meurtres du Pressoir et du retour le lendemain de 4 cavaliers pour le pillage. La citoyenne Chevalier, (décidément bavarde) aurait dit au citoyen David que Beilvert en faisait partie.
Concernant les exécutions de Bretagne et Olive, il précise que Beilvert était de la patrouille mais que c’est le commandant allemand (alsacien probablement, du bataillon du Bas Rhin) qui donna l’ordre de les fusiller et que Beilvert lui-même en parut surpris.
L’instruction est close dès le 29 août.
Le jury d’accusation, composé de Nicolas Coulon, l’officier de police militaire et de 2 citoyens désignés par le bureau municipal de la commune de Nantes, considérant :
- que Beilvert et Guilbaudeau ont déjà été acquittés,
- qu’une grande partie des fait reprochés paraissent être dictés par la haine, « l’esprit de parti et de vengeance »,
- que la guerre civile entraîne après elle des excès et des maux dont l’erreur plutôt que le crime est la seule cause,
- vu tous les certificats des patriotes et des commandants militaires,
déclare :
- qu’il n’y a pas lieu à accusation contre Guilbaudeau et qu’il doit être remis à l’instant en liberté,
- qu’il y a lieu à accusation contre Beilvert pour l’assassinat des 3 femmes du Pressoir de Saint Aignan.
Seul donc, Beilvert est renvoyé devant le tribunal militaire du 2 eme arrondissement de l’armée de l’Ouest, mais uniquement pour les 3 meurtres du Pressoir, qu’il n’a d’ailleurs sans doute pas commis.
Guilbaudeau est libre.
7) Jugement du tribunal criminel militaire et acquittement du 20 octobre 1795
Le 18 octobre soir un mois et demi après la clôture de l’instruction, Joseph Beilvert comparaît devant le tribunal criminel militaire pour éventuellement récuser, selon la loi, 9 des 18 juges formant le Conseil militaire.
On ignore la suite mais son choix est a priori effectué puisque 2 jours plus tard, un des jurés étant malade, il en désigne un autre, un certain Bonhommeau, capitaine.
Il est jugé le jour même.
Il manque malheureusement dans les archives départementales le texte du jugement définitif mais son dossier comporte en titre la mention : 2 eme acquittement 28 vendémiaire an 4, soit le 20 octobre 1795.
Six jours plus tard la Convention proclamera une amnistie « pour tous les faits relatifs à la Révolution », exceptés ceux de l’insurrection royaliste du 5 octobre précédent.
8) annexe au procès de 1795
Une longue liste de : «Déclarations des particuliers de la commune de Bouguenais qui ont eu de leur famille fusillé soit dans leurs maisons ou à leur travail ou au château d’Aux, savoir le 5 brumaire » est annexée à ce second procès.
Datée du 26 octobre 1794 (5 brumaire) elle est signée par le maire Guihokerlégand et plusieurs de ses adjoints le 12 décembre afin d’être remise, probablement au district de Nantes puis à l’instruction. Mais elle ne semble pas avoir été prise en considération.
Il s’agit essentiellement du témoignage de femmes, qui décrivent brièvement l’arrestation puis la mort de leur mari, ou de leurs fils, père, ou frère.
Extraits :
« La veuve Landrin, des Roulliers, son homme a été pris a mener du fumier et deux enfants à travailler à la terre et c’étaient les volontaires avec Beilvert qui les emmenèrent et furent tous trois fusillés. ». Jean Landrin et ses deux fils, Jean 23 ans et Pierre 18 ans, furent fusillés au château d’Aux le 3 avril 1794.
…
« La citoyenne Marie veuve Guillou nous a déclaré que Pierre Guillou son mari fut pris à la fin de mars par une troupe de volontaires dans son champ à semer de l’orge, lequel fut conduit au village des Couëts et là, on les attacha deux à deux et conduit au Château d’Aux dans le même jour. » Pierre Guillou a été fusillé au château d’Aux le 2 avril 1794.
...
« La citoyenne Thérèse veuve d’Antoine Mocquard nous a déclaré que le dernier jour de mars son mari fut pris par la troupe du château d’Aux, le citoyen Lepou à la tête de ladite troupe, ledit Mocquard étant dans la vallée de Bouguenais qui cherché à se sauver et conduit le même jour audit château. Et la veuve d’Antoine Mocquard ayant été réclamer son mari au château, elle fut mise en prison jusqu’au lendemain. » Laboureur, batelier, Antoine Mocquard a été fusillé au château d‘Aux le 2 avril 1794.
…
« Françoise Rousseau nous a déclaré que dans le mois de mars que Mathurin Rousseau son père, Jean Rousseau son fils (illisible) fut pris en taillant la vigne et conduit au château d’Aux par une troupe de volontaires conduit par Beilvert, et leur dire qu’il allait au bourg pour avoir des certificats. »
On pourrait multiplier les exemples.
Mais c’est à partir de cette longue liste que le travail sur les fusillés du château d’Aux a pu commencer.
Joseph Beilvert, la « terreur des brigands »
La suite de sa vie est tout aussi agitée et va défrayer la chronique locale.
Nommé capitaine d’une compagnie franche, il écume encore quelque temps la région, et en profite pour acheter plusieurs biens nationaux, après avoir essayer d’en faire baisser le prix.
Ayant détourné la solde de ses soldats, il est jugé, mais acquitté par le conseil de guerre de La Rochelle en mars 1797.
Devenu capitaine de la garde nationale de Bouaye, il est de nouveau enfermé quelques mois plus tard au Bouffay cette fois pour tentative de meurtre et encore relâché, probablement par manque de preuves.
Sans en connaître la raison on retrouve sa trace au registre d’écrou du Bouffay en 1799/1780.
Il se présente pourtant à des élections locales en avril 1801, sans succès, au grand soulagement sans doute de nombre de ses concitoyens.
On part ensuite sa trace une dizaine d’années.
Mais en juillet 1811 il est incarcéré de nouveau pour avoir assommé son fils aîné pourtant âgé de 28 ans. Devenu veuf en novembre de la même année, il fait cinq jours de prison pour sévices sur son fils cadet (Brutus Beilvert âgé de 15 ans).
En février 1814 il est assigné à résidence à Guérande, placé sous la surveillance du maire, qui rapidement, n’en peut plus « son séjour est un scandale pour la population » écrit-il au Préfet.
Revenu à Nantes, il « alarme la surveillance » du maire qui demande son expulsion.
En 1815, les cent jours de l’Empereur agite la Vendée. Il reçoit alors le commandement d’une compagnie d’auxiliaires malgré les protestations des élus locaux.
Quelques mois plus tard, il proclame qu’il va aller à Paris tuer le roi. On l’interne 15 mois durant, sans ouvrir d’instruction. Il proteste, écrit. On le libère en lui interdisant l’accès à Nantes.
Assigné à résidence à Bouaye, il redevient boulanger, son premier métier, mais s’agite encore, et semble être à présent royaliste : « Depuis l’heureuse entrée du roi Louis XVIII en France, je ne cesse d’être en but à toutes les vexations de l’autorité ; j’en ignore le motif. » écrit-il dans l’un de ses courriers de protestation.
Provocation, bêtise ? Beilvert est -encore- arrêté en avril 1818 pour port illégal d’uniforme militaire… et acquitté.
Le 23 mai suivant, toutefois, il est condamné à 3 ans de prison 50 francs d’amende et 5 ans de surveillance par la Cour de Rennes pour ... propos séditieux ».
Il se pourvoit en cassation, pourvoi rejeté en octobre de la même année. A la demande de grâce présentée par son avocat, le préfet de Loire-Inférieure résume peut-être ce que fut sa vie :
« Le dit Beilvert est un homme habitué au crime, et surtout aux forfaits révolutionnaires, […] qu’il a été traduit plusieurs fois devant les tribunaux, et toujours acquitté par partialité, intrigue ou influence du parti révolutionnaire auquel il tenait […] . Ce Beilvert est couvert de crimes plus atroces les uns que les autres, vol, pillage, meurtre, assassinats ; […] Cet homme […] a laissé à Nantes une renommée redoutable ».
Exilé peut-être par dépit, il décédera le 6 janvier 1823 à Saint-Quentin, dans l’Aisne, cité comme terrassier, à l’âge de 65 ans.
Voir Arthur Velasque : « Beilvert de Bouaye 1788-1818 » aux Annales de la société académique de Nantes et de Loire Inférieure, en 1912 (BNF),
les nombreux ouvrages d'Alfred Lallié
Et le site Internet de Vincent Guilbaudeau qui donne des précisions, en particulier sur les nombreux achats de biens nationaux qu’il a effectué : https://vincent-guilbaudeau.fr/wordpress/accueil/bouaye/joseph-beilvert/
Les procès des guides du château d’Aux sont déposés aux AD 44 sous la cote L 1559 – Tribunal criminel militaire.
Voir également :
- « L’insurrection de mars 1793 en Loire Inférieure » de l’association Nantes-Histoire – 1993
- " La paroisse de Bouguenais pendant la révolution" de l’abbé JB Branchereau,