Jean Baptiste Carrier
vers la mise en cause...
Les ennuis judiciaires de Jean Baptiste Carrier commencent peut-être
le
16 janvier 1794 lorsque le Comité de sûreté générale lui adresse
un courrier pour lui signaler que l’accusateur public du tribunal
révolutionnaire n’a pas reçu les pièces concernant les « cent
dix prisonniers » qu’il a envoyés à Paris. D’ailleurs,
fait remarquer le Comité, 10 ou 12 sont déjà morts de maladie et
tous ne sont peut-être pas aussi coupables. « Hâte
toi donc citoyen collègue de faire parvenir à l’accusateur public
les pièces à charge contre ces hommes dont la vengeance nationale
et l’humanité sollicitent de concert le jugement le plus prompt »
écrivent-ils
Sans
réponse, le comité insiste le 21
janvier suivant : « Le
glaive de la loi est suspendu, impatient, il attend les coupables,
qu’il eût peut-être mieux valu faire punir sur les lieux pour
donner l’exemple des effets plus utiles ».
Cent trente deux notables
modérés emprisonnés à l’initiative du comité révolutionnaire
de Nantes, avec l’aval de Carrier, étaient en effet partis pour
le tribunal révolutionnaire de Paris le 27 novembre 1793. Après
bien des péripéties, et quelques décès en route, ils attendent
depuis leur arrivée, le 5 janvier 1794, de passer en jugement.
Si le tribunal révolutionnaire
est volontiers expéditif, il lui faut au moins un dossier. Ce qui ne
semble pas être le cas, d’où les demandes du Comité de sûreté
générale.
Carrier,
lui, est de retour dans la capitale mi février. Il intervient à la
Convention dès le 21 (voir
sa correspondance 3 eme partie)
pour rendre compte d’un sujet plus important et qu’il prétend
maîtriser : la guerre de Vendée.
S’il
reste peu de brigands expose-t-il, 4 000 hommes environ pour
Charette, 5 à 600 pour La Rochejaquelein et 20 000 sympathisants
royalistes, il est nécessaire « qu’on
les extermine tous dans la battue générale qui va s’effectuer ».
Il termine en indiquant que le
général en chef Léchelle est mort de chagrin, presque dans ses
bras.
La Convention décrète qu’il
sera entendu au Comité de salut public.
Le
soir même aux Jacobins, après avoir demandé à subir, avec succès,
un scrutin épuratoire, il recommence son exposé. Le compte rendu
diffère un peu avec celui de la Convention publié par le Moniteur.
Il décrit à ses collègues les chouans, des voleurs, qui se
retiraient « toutes
les nuits dans le creux des montagnes où un immense rocher leur
servait de rempart ».
Il
parle
également du soin que « lui et Turreau » ont mis pour
incendier les forêts, indique que 100 000 rebelles ont été tués,
s’indigne des calomnies contre Ronsin, Rossignol, Santerre, traite
Philippeaux de fou, de lâche et rend compte de la bravoure de
Westermann.
Après avoir fait son rapport
-secret- au Comité de salut public, Carrier, fort de sa nouvelle
notoriété, intervient à plusieurs reprises auprès de ses amis
Montagnards, avec un zèle parfois un peu excessif.
Ainsi,
le 4 mars 1794 aux Cordeliers, il observe qu’absent depuis
longtemps il est effrayé des nouveaux visages aperçus à la
Montagne, et déclare : « On
s’apitoie sur le sort de ceux que la justice nationale frappe du
glaive de la loi […] Les monstres ! Ils voudraient briser les
échafauds. […] L’insurrection, une sainte insurrection voilà ce
que vous devez opposer aux scélérats ».
Ses
amis lui conseillent peut-être de modérer ses propos. Aux Jacobins,
le 6 mars, après s’être plaint de la division entre Jacobins et
Cordeliers, il précise « on
n’a point parlé de faire des insurrections, excepté dans le cas
où y serait forcé par les circonstances. Si on a fait une motion
contre la Convention, je donne ma tête ».
En
effet, Robespierre et ses amis ne plaisantent pas avec les factions
ou les tendances, l’unanimité révolutionnaire est de rigueur. Les
hébertistes sont exécutés le 24 mars, les dantonistes le 5 avril.
Carrier passe, pour le moment,
entre les gouttes -de sang- et poursuit ses travaux ordinaires de
député du Cantal à la Convention.
Il y intervient à plusieurs
reprises, parfois avec succès, appuie des demandes de confirmation
de postes, de congés, de secours.
Il ne semble pas prendre
position dans la violente querelle qui oppose Saint Flour à Aurillac
à propos du partage de réquisitions de grains, en juin 1794 mais
prend la défense d’un compatriote montagnard condamné pour
malversations (affaire Boudier) et fait casser un jugement du
tribunal du Cantal trop clément pour des contre révolutionnaires.
Les notables nantais attendent
toujours leur jugement mais, sur place, les choses commencent à
bouger.
Fouquet et Lamberty, deux des
hommes de confiance de Carrier ont été arrêtés dès février par
leurs concurrents du comité révolutionnaire. Privés du soutien de
leur protecteur, ils sont exécutés le 16 avril 1794, au motif
d’avoir soustrait des femmes nobles à la vengeance nationale.
Pire peut-être,
Phelippes-Tronjolly, devenu accusateur du tribunal criminel de
Nantes, malgré sa destitution de la présidence de ce même tribunal
par Carrier, demande des comptes au comité révolutionnaire nantais
et le conflit s’est envenimé, au point qu’à la mi-juin, les
représentants Bô et Bourbotte qui ont succédé à Carrier,
décident de l’arrestation des protagonistes.
Phelippes-Tronjolly est
conduit à Paris, et rejoint les notables nantais en prison.
Une
quinzaine de membres du comité révolutionnaire de Nantes, d’abord
incarcérés sur place, sont emmenés également à Paris, le 23
juillet, pour y être jugés.
La chute des robespierristes
le 27 et la libération de la parole, vont bien sûr provoquer un
tournant majeur dans le cours de la révolution. Mais si l’exécution
du « tyran » et de ses amis fait l’unanimité, y
compris aux jacobins et dans les sociétés populaires, une ligne de
fracture va bientôt apparaître entre ceux qui souhaitent maintenir
la dictature révolutionnaire et ceux qui veulent en finir avec la
terreur.
Ainsi, le 26 août Louis Marie
Fréron, à la Convention prononce un long discours sur la liberté
illimitée de la presse et présente une première analyse critique
de la terreur et de la révolution.
Le
même jour paraît un pamphlet appelé à connaître un grand succès
et de nombreux plagiats ou imitateurs « La queue de Robespierre »
qui remet en cause les « continuateurs
du dernier tyran ».
Le
28 août, Jean Lambert Tallien porte à son tour l’offensive à la
Convention, l’incitant à « mettre
la justice à l’ordre du jour »
tout en maintenant le gouvernement révolutionnaire.
Le lendemain, Laurent
Lecointre accuse nommément Barère, Billaud-Varenne et Collot
d'Herbois du Comité de salut public et Amar, David, Vadier, Voulland
du Comité de sûreté générale d’avoir contribué au système de
terreur imposé par Robespierre. Cette dénonciation provocatrice
aboutit encore -mais pour peu de temps- à un rejet unanime de la
Convention.
Le
30 août aux Jacobins, Carrier, après un débat houleux, somme ses
trois collègues, Fréron, Tallien et Lecointre de venir s’expliquer
sous peine d’être exclus des rangs de la société.
Il renouvelle ses attaques,
avec d’autres, le 3 septembre.
Les
trois hommes sont radiés dans la foulée, mais les Montagnards sont
en passe de perdre la bataille idéologique. Le club des Jacobins
n’est plus l’épicentre de la politique révolutionnaire.
Le procès des notables nantais, puis du comité révolutionnaire de
Nantes et enfin celui de Carrier qui y sera rattaché, consacrera la
victoire des thermidoriens, et la sortie, enfin, de la terreur.
Le procès des notables
nantais, du 8 au 14 septembre 1794.
Les pièces du procès étant
probablement arrivées, le tribunal révolutionnaire de Paris, seul
habilité à juger les crimes « politiques » décide le 8
septembre d’entendre les 93 rescapés, et d’y adjoindre
Phelippes-Tronjolly.
Plusieurs membres du comité
révolutionnaire nantais, cités en qualité de témoins, dans
l’attente de leur propre procès, se retrouvent vite accusés des
pires exactions. On évoque des noyades, des fusillades, des
malversations. Pour se défausser, ils mettent en cause Carrier.
Le représentant est alors
auditionné.
Il
indique d’abord qu’il a pris peu de part à la police des Nantes
« je
n’y étais présent que temporairement, tantôt à Rennes ensuite à
l’armée de l’Ouest ».
Il était principalement chargé de l’approvisionnement des
troupes, alimentant pendant 6 mois 200 000 hommes, sans que cela
coûte à la république, précise-t-il. Il a donc peu de
renseignements à donner, ne connaît pas ou peu les accusés mais
peut s’expliquer sur le compte de certains.
Il précise qu’il a voulu
renouveler les autorités constituées à Nantes peu après son
arrivée mais que la société populaire l’en a dissuadé parce
qu’on ne pouvait trouver plus patriotes que ces fonctionnaires
nommés, d’ailleurs, par ses collègues. Il est resté étranger
aux nombreuses arrestations sauf un certain Arnault, de Saint
Sébastien.
Lorsque
le comité révolutionnaire de Nantes lui a proposé de conduire les
accusés au tribunal révolutionnaire (de Paris), il leur même a
demandé de bien distinguer les innocents et de vérifier les délits
des autres. « Le
comité était mon flambeau, ma boussole ».
Contre l’avis de ce dernier, leurs femmes ont été autorisées à
les suivre pour leur apporter les secours et argent dont ils
pourraient avoir besoin. Ils ont bien sûr participé au fédéralisme
mais il ne peut rien en dire de plus, sauf qu’il a prolongé,
volontairement, leur longue détention, persuadé qu’il
« reviendrait
un temps où ils seraient jugés plus équitablement ».
Il
ajoute même pour trois d’entre eux qu’ils « étaient
regardés comme bons citoyens avant l’époque du fédéralisme et
comme n’ayant jamais dévié des principes révolutionnaires ».
Comme
plusieurs autres accusés l’interpellent il leur donne également
un témoignage favorable.
Pris à partie par
Phelippes-Tronjolly il s’étonne de sa présence et indique qu’il
l’a nommé président du tribunal révolutionnaire de Nantes malgré
ses opinions fédéralistes, en considérant ses talents et la
pénurie de candidats. Il l’a destitué parce qu’il le croyait
atteint d’une maladie incapacitante et mortelle.
Il nie également avoir été
présent à des délibérations concernant des tueries de masse et
être à l’origine d’un arrêté interdisant aux parents des
détenus d’intervenir.
Sur la compagnie Marat, c’est
le comité, se défend-t-il, qui se plaignait d’être incapable de
recevoir et suivre toutes les dénonciations. Il lui a donc adjoint
des hommes probes.
Revenant
aux notables nantais, Carrier témoigne qu’il a voulu plusieurs
fois libérer des détenus mais « toujours
le comité s’y est opposé de toutes ses forces en me renouvelant
l’assurance que tous les accusés étaient coupables ».
Aux
questions de Phelippes-Tronjolly, il répond avoir connu « ni
les noyades ni les fusillades..[….] et si j’eusse eu la moindre
notion de ces horreurs, de ces actes de barbarie, ils n’eussent pas
été mis à exécution ».
Le procès ne dure que
quelques jours et, dans la nouvelle ambiance thermidorienne, se
termine le 14 septembre par un acquittement général des 93 nantais
et de Phelippes-Tronjolly. Mais, pour la première fois, devant une
instance judiciaire, l’action de Carrier a été mise en cause et
il a dû se justifier.
L’étau des accusations se
referme peu à peu autour de lui. On parle, on publie, on commente,
dans les rues, les couloirs, les assemblées et le député du Cantal
devient la cible d’attaques de plus en plus vives.
Quinze jours plus tard, le 2
octobre, une première estocade l’atteint à la Convention
nationale.
Un député (N…. dans le
Moniteur, Lofficial selon Lallié) affirme que la guerre de Vendée
n’a été rallumée que par les horreurs commises. Il dénonce les
généraux républicains et Carrier qui a fait fusiller des habitants
désarmés après une promesse d’amnistie.
Calomnies !
Rétorque Carrier qui assure préparer un mémoire sur sa conduite et
ses arrêtés « pris
avec plus de 20 de mes collègues »
témoins de ses actions en Vendée.
Il assure avoir terminé la
guerre, empêché la prise de Granville et d’Angers en les
approvisionnant. Il a également pris un arrêté avec Bourbotte et
Turreau pour interdire le jugement des enfants de 12 à 16 ans et ce
n’est pas de sa faute si les brigands, 300 à son départ, sont
maintenant plus de 30 000.
Merlin (de Thionville), visant
indirectement Carrier, indique toutefois qu’une vingtaine de
communes qu’il avait remises dans le droit chemin ont été
égorgées ensuite.
N….
change alors de cible, dénonce Turreau et les colonnes infernales,
qui ont tué et pillé sous les yeux des représentants Hentz et
Francastel. Il précise que des officiers municipaux en écharpe, des
communes entières ont été fusillés, des récoltes brûlées sur
place par manque de transports réquisitionnés pour le butin.
Laignelot
intervient à son tour pour dire qu’à cette époque, on répandait
le bruit qu’on déporterait tous les habitants de la Vendée pour
redistribuer leurs terres, réduisant même les patriotes au
désespoir. A la tête de volontaires, il a combattu Charette qui
n’avait plus alors que 700 femmes et 2 500 hommes, sans fusils,
sans munitions, tandis que Carrier faisait confisquer avec brutalité
tous les grains pour Nantes. Rentré à Paris en compagnie de
Lequinio, il a donc prêché une politique de modération. Les braves
gens sur place « qu’on
assassinaient ainsi, qu’on brûlait, qu’on pillait, dont on
violait les femmes disaient : ce n’est pas la Convention qui
ordonne tout cela ».
Hentz et Francastel à leur retour (début
mai)
lui avaient affirmé qu’il n’y avait plus de Vendée. Mais
pourquoi alors 80 000 hommes de troupe y étaient encore stationnés ?
Et la chouannerie, réputée vaincue, était toujours en « guerre
très ardente ». Mais qu’on fasse partir 15 000 hommes,
probes, vertueux et humains, la guerre de Vendée se terminera,
conclut-il.
Interpellé,
Carnot précise à la barre de la Convention qu’il était
minoritaire au Comité de salut public, haï par Saint Just et
Robespierre, lequel a défendu Huché, mis en accusation pour des
atrocités et il l’a même renvoyé avec un grade supérieur.
Partisan de la douceur, lui (Carnot) a donc fait marcher 10 000
hommes de l’armée du Nord, disciplinés, pour « terminer
cette malheureuse guerre ».
A l’heure actuelle, il y a 60 000 hommes en Vendée, 73 000
empêchent les anglais de débarquer et 18 000 composent l’armée
des côtes de Cherbourg. C’est suffisant.
La Convention réclame
l’arrestation de Turreau.
Le lendemain Hentz, mis en
cause, vient s’expliquer à la Convention.
Il
a été envoyé avec Garreau, (et
Francastel le 18 février 1794)
mais après les égorgements dénoncés par ses collègues, voir le
général Turreau, Pour isoler les brigands, ils ont pris un arrêté
d’éloignement de 80 km promettant des secours aux bons citoyens,
donné des passeports aux prisonniers, et fait une tournée
d’inspection en Vendée. Ils n’ont pas vu un seul homme égorgé,
et ont demandé à Turreau de brûler uniquement ce qui était
indispensable aux brigands. De toutes façons, ils n’avaient pas
d’autres généraux sous la main.
Bentabole
prend Hentz à partie, affirmant qu’il avait déshonoré l’armée
en prenant un arrêté (rédigé en allemand) ordonnant de brûler
une ville entière (probablement
proche de la frontière lors d’une autre mission aux armées)
parce qu’il y avait des aristocrates.
Le renvoi aux comités est
décidé en fin de discussion.
Après
ces mises en cause publiques, Carrier qui a terminé son mémoire,
veut en obtenir la plus large diffusion possible. Le 7 octobre 1794
il demande au Comité de salut public d’autoriser l’imprimeur à
aller au-delà des 820 exemplaires prescrits par la loi, car il lui
en faudrait au moins 10 000 pour « détruire
la calomnie partout où elle a pu se répandre ».
Le
Comité renvoie la décision au « Comité des inspecteurs de la
salle ». On ignore la suite.
La mise en accusation du
Comité révolutionnaire de Nantes le 8 octobre 1794
Suite
à l’acquittement des 94 nantais, 14 membres du comité
révolutionnaire de Nantes, toujours incarcérés, sont mis
officiellement en accusation « prévenus
de concussion, d’actes arbitraires, de dilapidations, de vols, de
brigandages, d’abus d’autorité et d’avoir prononcé des arrêts
de mort... »
et cette fois les pièces sont jointes aux accusations.
Ce n’est qu’un début. Au
fil des audiences, ouvertes le 17 octobre, des témoins appelés de
Nantes se trouvent à leur tour incriminés et les mises en
accusation se succéderont jusqu’au 4 décembre, pour aboutir à 33
inculpations.
Si celle de Jean Baptiste
Carrier devient rapidement inévitable, elle est soumise, s’agissant
d’un député, à une procédure bien particulière, déterminée
par la loi du 29 octobre 1794, votée pour la circonstance.
Les trois Comités, de salut
public, de sûreté générale et de législation, examinent les
pièces fournies contre le représentant du peuple accusé. S’ils
l’estiment nécessaire, ils font une déclaration à la Convention
puis saisissent une commission formée de 21 députés tirés au
sort.
Cette commission au vu des
pièces produites rend ensuite un rapport argumenté à la Convention
pour estimer s’il y a lieu à accusation.
C’est
alors à la Convention, en dernier ressort, qui se prononce, par
appel nominal, sur le renvoi ou non du député vers le tribunal
compétent.
Jean Baptiste Carrier
bénéficie ainsi de solides garanties juridiques, ainsi que ses
collègues, dans une période où les comptes commencent à se
régler.
Par prudence, le Comité de
sûreté générale a alerté les « barrières » de Paris
pour interdire la fuite de Carrier et l’a mis sous surveillance
policière dès le 29 octobre. On apprend ainsi qu’il vit seul chez
lui, rue d’Argenteuil, et que sa maison a deux issues. Il a des
visites, dont à plusieurs reprises des jeunes du camp des Sablons,
une école d’officiers réservée aux fils de sans culottes.
Brièvement arrêté, puis
relâché, il y a quelques interpellations à ce sujet à la
Convention et on apprend que Carrier a menacé l’inspecteur qui le
suivait.
Du 31 octobre au 9 novembre
les trois comités remettent à la commission des 21, pour étude,
les pièces qui s’accumulent, et sur lesquelles Carrier peut faire
des observations.
L’avis
de la « commission des 21 » rendu le 11 novembre 1794,
La commission, par la voix de
Romme rend son rapport à la Convention.
Après un long rappel de la
procédure suivie, il déroule son exposé associant à chaque fait
une preuve, mais sans se prononcer sur leur validité, que seul un
tribunal peut apprécier. Il s’agit uniquement de proposer ou non à
la Convention, la mise en accusation du représentant.
On
a ainsi une première liste des accusations officielles -82 !-
contre le député du Cantal. Elles se recoupent parfois (voir
article : les faits reprochés à Carrier et ses réponses). Les
témoignages concernent ses arrêtés arbitraires contre les
commerçants, ses accès de brutalité, son opposition aux autorités
locales et surtout deux ordres d’exécutions sans jugement de
brigands, ainsi qu’une sommation de ne pas obéir à son collègue
Tréhouard et un courrier au général Haxo lui demandant
d’exterminer tous les habitants et de tout dévaster en Vendée.
Lors
de l’exposé de Romme, le Moniteur indique que « la
lecture est fréquemment interrompue par des frémissements d’horreur
et d’indignation ».
En conclusion la commission
des 21 estime qu’il y a lieu à accusation.
Après un court débat,
concernant l’opportunité de laisser Carrier s’exprimer de suite
ou lors de la discussion, par souci d’exemplarité, il est décidé
de lui donner la parole.
Il monte alors à la tribune
et lit dans un profond silence son rapport sur la guerre de Vendée,
qu’il a fait imprimer.
Ce
plaidoyer d’une trentaine de pages publié en « brumaire »
(mi octobre probablement et on ne sait en combien d’exemplaires)
porte
sur la mission du représentant en Vendée.
Carrier
affirme en introduction être victime d’une vaste conjuration bien
qu’il ait « puissamment
concouru à terminer une guerre sanglante ».
Ses ennemis sont des contre révolutionnaires. On lui reproche sans
preuves d’avoir fait périr des brigands de tout âge, de tout
sexe. On a inondé Paris et les départements de pamphlets
abominables, recherché de manière inquisitoriale ses arrêtés, ses
mesures. Il met en cause, sans le nommer, Phelippes-Tronjolly, le
Comité de surveillance de Tours, et plus maladroitement, le tribunal
révolutionnaire de Paris empli d’une « tourbe
nombreuse » selon
la liste habituelle : royalistes, fédéralistes, chouans etc.
qui déposent contre la représentation nationale.
Il explique ensuite que, 60
000 brigands ayant passé la Loire, on lui avait confié la mission
de vaincre Charette avec les généraux Haxo et Dutruy, et de
reprendre Noirmoutier. Cet objectif a été rempli.
Sur la rive droite de la
Loire, la plupart des brigands, poursuivis par Bourbotte et Turreau,
ont été tués au Mans provoquant à l’époque les
applaudissements de la Convention nationale.
Le reste des brigands s’est
divisé en deux colonnes. Dans la première, 10 000 hommes voulurent
passer la Loire à Ancenis, 3 000 furent tués dans la ville, 6 000
périrent noyés ou tués par les canonnières qu’il avait fait
placer. Les rescapés, pris les armes à la main furent conduits à
Nantes pour être jugés.
La seconde colonne, plus
importante, se dirigea sur Châteaubriant puis Blain et enfin
Savenay. Les troupes firent encore des prisonniers, mais le total
n’atteint pas 3 000 comme on l’a prétendu.
D’ailleurs,
où sont ses ordres pour les fusillades et les noyades de ces
prisonniers ? Carrier défie « tous
les brigands de la Vendée, tous les chouans réunis, d’en
représenter un seul ».
Les
exécutions des femmes enceintes, des enfants sont des ouï-dires,
parce que tous les royalistes, fédéralistes, etc. ont juré sa
perte. Et pourquoi n’a-t-on rien dit pendant un an ? Il
fallait lui en parler, il était saisi de beaucoup de récriminations,
librement, il était « au
milieu du peuple et avec le peuple ». Il
n’a pas vu la terreur à Nantes qui aurait pu empêcher quiconque
de parler et quand il est parti personne ne s’est plaint pendant 6
mois. La seule chose qu’il a su c’est la mort de 8 à 900
brigands sous la mitraille parce qu’ils s’étaient révoltés en
prison.
De
plus une maladie contagieuse a enlevé la majeure partie des détenus,
y compris les femmes et les enfants. Il a donc constitué une
commission de santé et fait nettoyer Nantes avec des pompes. Le
reste des détenus a été jugé par des tribunaux militaires,
exceptant avec Turreau (le
représentant)
les enfants de 12 à 16 ans, les plus jeunes étant placés chez de
bons citoyens.
Ce sont les brigands eux-mêmes
qui se sont noyés, en essayant de passer la Loire mais il n’a
jamais donné d’ordre à ce sujet.
S’il a délivré un
passeport à Lamberty, ancien prisonnier des royalistes, c’était
pour accomplir des missions secrètes, débusquer Charette. Il n’est
donc pas responsable des abus éventuels. Il avait donné également
l’ordre de transférer à Belle-île 132 prisonniers, à cause de
l’insalubrité des prisons de Nantes, mais pas de les noyer. On a
outrepassé sa volonté.
Un « scélérat
soudoyé » a prétendu qu’il a fait périr des filles de
mauvaises mœurs. C’est horrible. Où est son ordre ? Il les
avait affectées dans un atelier de couture. On l’accuse même de
noyades à Saumur alors qu’il n’y est pas resté !
Pendant 6 mois, il a
approvisionné Nantes, et l’a si bien défendu que 15 jours avant
son départ le peuple l’a fêté. Ce n’est qu’après qu’il
soit parti qu’il y a eu crise des subsistances, et des attaques des
brigands.
Il a autorisé le transfert
des notables nantais vers Paris parce que la société populaire, le
peuple « les tribunes », le demandaient. Les courtiers
arrêtés ? Tous les nantais savent qu’ils ont introduit
l’esprit d’agiotage et d’accaparement. Les acheteurs de denrée
de première nécessité ? Ils ont également été arrêtés
parce qu’ils achetaient tout ce qu’ils trouvaient pour le
revendre uniquement aux riches négociants.
Quant aux cavaliers massacrés
malgré leur reddition c’étaient des chefs de brigands pris les
armes à la main. Les rebelles exécutés sans jugement sur son ordre
à Phelippes-Tronjolly ? Ce n’est pas son écriture, ni celle
de son secrétaire, mais il a pu signer de confiance.
Il rappelle fort à propos que
les lois des 19 et 27 mars 1793 mettaient hors de la loi les brigands
pris les armes à la main, ainsi que les aristocrates, et tous ceux
qui arboraient un signe de rébellion quelconque. La Convention
voulait alors exterminer tous les insurgés avant la fin octobre et
quand il est arrivé, il y avait déjà longtemps qu’on ne faisait
plus de prisonniers de part et d’autre.
En outre c’était il y a un
an, au milieu des périls. Les frontières étaient envahies,
l’intérieur dévoré par les guerres civiles et l’amnistie
proposée par Levasseur avait été repoussée. On a oublié
également les ravages des brigands. Il y en avait 150 000 quand il
est arrivé, 300 quand il est parti. Il a fait la guerre avec le
général Haxo et ils n’ont jamais inquiété une seule commune
soumise. Il lui a simplement transmis les ordres que la Convention
avait donnés.
Si c’est Phelippes-Tronjolly
son dénonciateur, il doit dire que c’est un intrigant qui
abandonné femme et enfants, un fédéraliste, un fourbe et un
scélérat. A Nantes, il ne lui a jamais dénoncé le comité
révolutionnaire et après son départ il lui a encore adressé des
courriers.
Le
tribunal révolutionnaire de Paris serait soudoyé par tous les
brigands de la Vendée qu’il ne mettrait pas plus d’acharnement à
le perdre. Les témoins sont toute « l’écume
de l’aristocratie nantaise »,
des correspondants des brigands, des chouans. Le président Dobsent,
le substitut et les jurés les manipulent et tous les jours 3 ou 400
contre révolutionnaires vomis de Nantes ou de la Vendée occupent la
salle.
D’ailleurs,
il faut « recontextualiser ». On a pris des mesures aussi
extraordinaires à Paimboeuf, Laval, Château-Gontier, Angers,
Saumur, et on a oublié les horreurs des brigands, à Machecoul
d’abord : les maris enterrés vivants devants leurs femmes
qu’on clouaient ensuite aux portes avec leurs enfants. Le curé
constitutionnel a été châtré, supplicié, tandis qu’un prêtre
célébrait la messe au milieu de ces horreurs. A Cholet, à Saumur
les patriotes étaient torturés, les femmes se jetaient par les
fenêtres avec leurs enfants dans les bras. Les prisonniers
républicains étaient suppliciés, pendus par les pieds, brûlés
vifs, on leur mettait des cartouches dans le nez, la bouche, on les
faisait cuire dans des fours. Aujourd’hui encore on leur coupe le
nez, les mains, les pieds avant de les enfermer dans des cachots.
On s’apitoie sur les
brigands mais pas sur celui des héros de la liberté. Il ne faut
donc pas s’étonner de représailles un peu violentes. A l’époque
toutes les frontières étaient envahies, la trahison partout, Toulon
vendu aux anglais, Marseille, Lyon, Bordeaux menaçaient, la Vendée
était victorieuse, la Bretagne en ébullition, les anglais prêts à
débarquer.
La position de Nantes entourée
de brigands, privée de subsistances, désolée par la contagion, peu
défendue, abritant des traîtres, excitait la vengeance. On ne peut
pas juger ce qu’on a fait au milieu de l’orage. Les témoins
eux-mêmes sont des royalistes, fédéralistes, etc. Alors pourquoi
ne pas appeler Charette à la barre ?
Mais on ne peut juger un
représentant de la Convention que sur ses arrêtés. Car si on
condamne un seul représentant par une preuve orale, tous peuvent
être condamnés. Son procès est donc celui de la représentation
nationale. On commence même à entendre crier « A bas la
république » !
Les guerres civiles, celles de
Rome, ont été des malheurs, mais a-t-on calculé les plaies faites
à l’humanité par les prêtres, les rois, par exemple lors de la
Saint Barthélémy ?
Ce n’est pas la tête de
Carrier que les contre révolutionnaires veulent mais celle d’un
représentant du peuple. C’est donc le procès de la Convention, de
l’armée, de la révolution, du peuple tout entier, de la liberté.
En conclusion, il a tout fait
pour terminer la guerre de Vendée, au milieu des dangers, et a pris
toutes les mesures nécessaires pour le salut de la République sans
s‘arrêter aux détails.
D’ailleurs il a fait depuis
longtemps le sacrifice de sa vie et offre jusqu’à la dernière
goutte de son sang au peuple, à sa patrie.
Des
voix demandent son arrestation. « Mon
arrestation provisoire est superflue, les brigands n’ont jamais vu
mes talons »
rétorque Carrier. Quelques uns applaudissent.
Après discussion la procédure
étant nouvelle, la Convention décrète que Carrier sera mis en état
d’arrestation -provisoire- chez lui, sous la garde de 4 gendarmes.
On
peut supposer, en juriste qu’il est, et conscient de jouer sa
liberté sinon sa tête, qu’il profite de ce répit pour étudier
soigneusement
toutes
les documents
qu’on lui a déjà
communiqués.
Le 18 novembre il adresse un
courrier au président de la Convention se plaignant qu’il n’a
pas encore reçu le rapport (du 11 novembre) alors qu’il doit
répondre à toutes les pièces « dont la rage
aristocratique a cherché à grossir le nombre » dans
l’ordre où elles sont présentées. Sa défense plaide t-il sera
longue et sa santé « déjà altérée » ne lui permet
pas de profiter du repos de ses nuits. Il demande donc :
- un délai de 10 jours pour
travailler à sa défense,
- un exemplaire du rapport (de
Romme)
- qu’on lui adresse « dans
le jour » les originaux ou copies certifiées des 2
courriers que lui a adressés Phelippes-Tronjolly.
La Convention n’accède qu’à
ces deux dernières demandes, le délai lui étant refusé.
Le lendemain, 19 novembre, une
longue adresse des citoyens de Nantes et de la société populaire,
datée du 30 octobre, est lue à la Convention, qui en autorise
l’impression et le renvoi à la commission des 21. C’est une
attaque de plus contre le représentant, et qui vient de la ville où
il a exercé, seul, les pleins pouvoirs donnés par la Convention.
Après
un prologue emphatique ils dénoncent « l’infâme
Carrier »
qui a donné des ordres arbitraires à des hommes détestés, des
monstres qui voulaient tout détruire et qui ont conservé, pour leur
plaisir, « et
ceux du tyran Carrier »
deux femmes ci devant nobles. Ils citent intégralement les
laisser-passer donnés à Fouquet et Lamberty, rappellent les arrêtés
d’arrestation des courtiers, des acheteurs, les ordres de faire
exécuter sans jugements des prisonniers, dont des femmes et des
enfants. Ils lui reprochent ensuite d’avoir prolonger la guerre de
Vendée, en menaçant les responsables locaux, en supprimant la
société populaire Vincent la Montagne, où il ne se présentait que
le sabre à la main, en encourageant le meurtre et le pillage, en
dînant sur les bateaux après les noyades, en s’abandonnant à la
débauche, aux orgies. Ils décrivent longuement le témoignage de
Perrote Brevet, venue demander la libération de son frère
emprisonné et soumise à un chantage sexuel.
Carrier
a fait fusiller, disent-ils, des communes entières qui se rendaient
et c’est lorsque les brigands se sont renforcés, par ces mesures
affreuses, qu’il s’est retiré hors de Nantes pour cacher « ses
orgies bruyantes »
et il ose dans son mémoire dire « qu’il
n’avait fait que passer à Nantes » !
L’adresse
des citoyens est ensuite une longue diatribe qui vise d’abord
Carrier puis les robespierristes : « Carrier !
On ne peut songer à ce monstre sans frémir encore d’indignation
et d’horreur...[….] (mais qui) n’est que le lieutenant d’une
faction […] qui voulait ensevelir la liberté sous des monceaux de
cadavres, assassiner les vertus, insulter au génie en détruisant
les monuments des arts, en avilissant ses plus belles productions, en
voulant dégrader l’espèce humaine, outrager la nature... ».
Ils
terminent en mettant la Convention en garde contre cette faction
qui cherche à « soustraire
à un jugement ce criminel dont elle appréhende les révélations ».
La
défense de Carrier avant sa mise en accusation,
21 au 23 novembre 1794
Le 21 novembre 1794 la
Convention nationale, constituée en jury d’accusation, accorde de
nouveau à Carrier la possibilité de s’exprimer devant elle.
Carrier monte à la barre et
demande que les tribunes fassent le plus grand silence. Il dit tout
d’abord qu’il n’a pas pu analyser toutes les pièces mais qu’il
le fera au besoin.
Il
réfute, ou essaye de réfuter, une par une les 82 accusations
portées contre lui et lues par Romme le 11 novembre. (voir
annexe « faits reprochés à Carrier et ses réponses).
Il reçoit parfois l’appui
ou le témoignage favorable de certains de ses collègues : Bô,
Bourbotte, Milhaud...
Sa défense va durer trois
jours, avec de brèves interruptions pour qu’il puisse se reposer.
Elle s’articule autour de 4 grandes lignes :
- les atrocités « illégales »
sont le fait du Comité révolutionnaire de Nantes, pas du sien,
- les mesures extraordinaires
qu’il a prises, couronnées de succès, ont été dictées ou
approuvées par la Convention,
- il est victime d’un
complot de contre révolutionnaires, royalistes, fédéralistes etc.
- et, donc, plus pernicieux,
son procès est celui de la révolution, donc de la Convention.
Le 23 novembre, il conclut par
une brève allocution puis prononce un second discours qui sera
imprimé sur ordre de la Convention.
Dans son allocution il prétend
avoir repoussé toutes les inculpations et avoir fait connaître la
conduite de ceux qui, dans l’ombre, ont cherché à le perdre. Il
s‘appuie sur le défaut d’authenticité des pièces. Si on admet
les preuves par témoins on perdrait les patriotes puisque les
aristocrates viendraient à tour de rôle pour les accuser. Mais il
faudrait aussi écouter les militaires, ses collègues. A Nantes,
laissé sans défense, on insultait le nom de Marat, Angers et Saumur
avaient été pris par les brigands. Depuis son arrivée les brigands
avaient toujours été vaincus, la guerre était terminée à son
départ, elle menace maintenant la république. Il entend des voix
barbares demander son sang, on l’insulte (murmures d’indignation).
Il ne se plaint pas de la Convention mais quand un accusé parle on
ne doit pas perdre une seule de ses paroles. Le lendemain de son
arrivée, le 9 octobre, Hentz et Prieur lui demandèrent de se mettre
à la tête de l’armée de l’Ouest pour finir la guerre de
Vendée. Le 10 il est donc parti à l’armée sur ordre du Comité
de salut public et n’est revenu qu’un mois après. Le comité de
Nantes, à son insu, avait pris des mesures extraordinaires qu’on
lui reproche maintenant. La preuve est faite que Phelippes-Tronjolly
a mis en cause le comité, pas lui.
(Bô et Bourbotte
interviennent pour confirmer qu’il n’a pas été mis en cause).
Nantes n’avait donc aucun
reproche à me faire poursuit-il mais ces sont les pamphlets de
Fréron, parce que (lui Carrier) avait demandé son expulsion des
Jacobins avec Tallien, qui ont provoqué les persécutions. Il a vomi
dans son journal infâme mille horreurs contre lui.
Cambon crie : contre
toute la Convention ! (il s’élance pour intervenir, on le
retient dans le tumulte)
Carrier continue et déclare à
la Convention, au peuple, à la postérité, que c’est Fréron la
cause de sa persécution. Il n’est rien dans la république, mais
un amant passionné de la liberté, un homme incorruptible, et ceux
qui l’on connu connaissent la pureté de ses intentions, sa
probité. Les contre révolutionnaires ont livré les armées aux
brigands qui ont massacré 200 000 républicains.
(Bourdon l’interrompt:
c’est Danton et Robespierre ! Cambon tente à nouveau et en
vain de parler)
Il faut que les mères, les
veuves, les orphelins, des 200 000 républicains morts sachent qu’ils
ont été torturés par les brigands. Tallien missionné pour cette
guerre, était à Tours, Santerre est arrivé après Vihiers où non
pas 600 républicains comme annoncé à la Convention mais 30 000
avaient été massacrés.
(Menuau prétend que
c’est faux, et demande la parole. interventions dans l’Assemblée)
Carrier en appelle au
témoignage de l’armée pour Coron dont il a déjà parlé..
(Dubois-Crancé
l’interrompt : « Carrier n’a plus rien à dire pour
sa défense. Je demande l’appel nominal » mais Tallien
intervient pour demander que Carrier puisse poursuivre.)
Carrier
continue donc. Tallien et Fréron lui sont suspects, ils
n’aiment pas la patrie. A Angers, à Saumur, à Laval, etc.. on a
commis les mêmes horreurs qu’à Nantes, mais c’est plus facile
d’attaquer (les
représentants ?) un
par un. Son procès est celui du fanatisme contre la philosophie. Il
se compare aux anciens romains, à Catilina qui, pour se justifier, a
seulement dit au Sénat « J’ai
sauvé Rome et la République ».
Il répète qu’il n’a qu’un capital de 10 000 livres.
Il demande un instant de
repos, qui lui est accordé puis reprend.
On
l’accuse à tort d’avoir prolongé la guerre de Vendée. Elle
était terminée à son départ, qu’on demande à l’armée. Que
la Convention juge également sur ses intentions, mais il n’a
« participé
à aucune mesure de détail, elles étaient incompatibles avec ma
mission et mon caractère ».
D’ailleurs les barbaries des brigands avaient nécessité des
« mesures sévères ». Les massacres de Machecoul, de
Saumur étaient récents : les femmes pendues par les pieds au
dessus des brasiers, les hommes aux yeux crevés, aux oreilles
coupées. L’air semblait retentir des chants de 20 000 martyrs
dans leurs tortures. On ne pouvait agir raisonnablement ni arrêter
le torrent de la révolution. On ne pouvait prévenir les excès
commis à Lyon, Marseille, Toulon etc.. Lui, Carrier, a terminé une
guerre terrible « dont
les pieds de géant menaçait de fouler la France entière ».
Il a tenu son serment de républicain, et si le salut du peuple
l’exige il envisage la mort comme Socrate, Cicéron, Caton etc....
« Je
n’ai vécu que pour ma patrie, je saurai mourir pour elle ».
A 18 h 15 Carrier reprend un
second discours (qui sera imprimé sur ordre de la Convention) :
C’est une grande conjuration
qu’on lui intente et il s’en remet à la Convention pour rendre
une décision juste, éclairée, impartiale dans un moment mémorable.
Il a repoussé les principales inculpations, isolées, atroces et
invraisemblables. A l’exception de la lettre de son collègue Bô
toutes les pièces sont des copies. Quelques déclarations n’en
sont pas, mais rien n’atteste de leur authenticité. Elles peuvent
être tronquées, contrefaites. Trois seraient de lui : l’ordre
donné à Lamberty et deux arrêtés pour Phelippes-Tronjolly.
L’ordre donné à Lamberty
était de lui servir d’espion en Vendée, mais il peut être
tronqué, et il ne se souvient pas des 2 arrêtés destinés à
Phelippes-Tronjolly. Où sont les preuves de leur authenticité, de
sa signature ? Et on a pu le faire signer par surprise. Les
témoignages sont dangereux pris dans un pays en contre révolution
et il faudrait alors entendre tous les témoignages de l’armée,
avec laquelle il a combattu, des braves défenseurs qui l’ont
constamment suivi. Il demande qu’on entende Pocholle, Gillet etc..
(11 collègues). Les premiers représentants qui allèrent à Nantes
furent méconnus, insultés. Ensuite Fouché et Villiers furent
menacés, Fouché a été obligé de cacher son départ. Le
fédéralisme se répandit à Nantes qui menaça de marcher sur
Paris, on refusa de recevoir de nouveaux représentants. Gillet alla
à Nantes au milieu des insultes, des menaces, des humiliations.
Monet, un excellent républicain de Nantes fut obligé de fuir. Les
brigands ayant pris et pillé Angers et Saumur marchèrent sur Nantes
mal défendu. Canclaux menaça alors de faire sauter la place. La
garnison, les artisans, les sans culottes se mobilisèrent. Mais il y
avait déjà 4 000 repas et 4 000 drapeaux blancs préparés. Avant
qu’il arrive, la pénurie la plus désolante était provoquée par
l’agiotage, des accaparements immenses. Tous les prisonniers, tous
les brigands, disaient que leurs chefs correspondaient avec des
nantais qui espionnaient l’armée.
Durant son séjour, les
brigands manquèrent de tout, provoquant une maladie pestilentielle
qui les a décimés. A Dol, au Mans, à Savenay, ils ne tiraient que
des moitiés ou des tiers de balles. Sur la rive gauche il avait
réduit Charette aux abois avec 300 hommes mal armés et sans
munitions. Ces faits sont connus. Pourquoi après son départ les
brigands ont-il pu s’équiper de nouveau ?
Ce
n’est pas le seul reproche qu’on peut faire aux Nantais. Il y a
toujours eu des complots, des désinformations. Son collègue Gillet
a dit lui-même que le comité révolutionnaire avait tout pouvoir et
qu’on ne devait pas craindre de les outrepasser pour sauver la
république. C’est peut-être pour cette raison que Goullin a écrit
à ses collègues le 5 octobre de lui demander au besoin « des
bras exécuteurs »
notant plus bas : « songez
au navire ».
Lui, il est arrivé le 8
octobre. Il s’est concerté le 9 avec six de ses collègues puis
est parti à l’armée. Il est revenu à Nantes un mois après. La
preuve que c’est le comité révolutionnaire de Nantes qui a pris à
son insu les mesures extraordinaires est son ordre du 5 décembre de
faire fusiller tous les prisonniers traduits au tribunal
révolutionnaire. Tout en découle ensuite. D’ailleurs
Phelippes-Tronjolly met uniquement en cause le comité
révolutionnaire dans sa lettre du 4 avril puis du 25 mai et presque
tous les nantais interrogés ne l’ont pas accusé au début du
procès du comité.
Mais
c’est maintenant que Phelippes-Tronjolly l’accuse « dans
des moments [….] où la coalition des contre révolutionnaires
vociférait, soudoyait, pour machiner ma perte ».
Les preuves les plus convaincantes sont les nombreux arrêtés du
comité révolutionnaire pour extraire les prisonniers, pour payer 3
gabarres à Lamberty, et d’autres à Affilé. Si c’est lui
Carrier qui avait pris ces mesures ils n’auraient pas eu besoin de
le faire. Qu’on se rappelle ce que Bô a écrit au président du
tribunal révolutionnaire « si
les accusés se permettaient quelqu’inculpation contre les
représentants du peuple je te prie de me les communiquer car je puis
y répondre avec la conviction le plus évidente ».
Tout prouve que le comité avait le plan et les moyens de ces mesures
extraordinaires avant son arrivée, qu’ils les ont exécutées
ensuite à son insu, prenant exemple sans doute sur Saumur, Angers,
Laval, et Château Gontier.
Son seul arrêté qu’on peut
produire est celui en faveur des enfants.
On
annonce le jugement de 4 000 brigands ? Mais il en a été amené
3 000 tout au plus à Nantes. Et puis on ne devient pas inhumain tout
à coup. En Normandie en Bretagne, dans « les
brandons de la guerre civile »
il n’a fait que des prisonniers. De plus, il devait, contrairement
aux tyrans de Rome, rendre des comptes à la Convention, au peuple.
« M’accuser
d’être un tyran, moi ! L’ami le plus sincère, le partisan
le plus prononcé de l’égalité, de la liberté, le défenseur le
plus ferme de la République ! ».
Et pourquoi est-il le premier ? A Saumur, etc. ont a précipité
des brigands dans l’eau, même en plein jour et des représentants
y assistaient. On l’attaque isolément parce que c’est plus
facile. Mais on ne faisait déjà plus de prisonniers depuis juillet
1793, on fusillait sur place. La Convention le savait, les lettres
des généraux, des représentants, étaient applaudies, insérées
au bulletin, même quand on a ordonné de faire exécuter 4 500
brigands prisonniers. Et on voudrait l’accuser pour deux décrets
dont il ne voit pas les originaux ?
La
Convention doit faire attention. Elle a mis hors de la loi tous les
porteurs de signes de rébellion, les aristocrates, les ennemis du
peuple. Elle a ordonné d’exterminer tous les brigands, elle a
approuvé, elle a applaudi à la décision de les faire fusiller
tous. « Faire
le procès à ceux qui l’ont exécutée c’est faire le procès à
elle-même puisqu’elle l’a décrétée ».
Et
pourquoi ne pas le faire à l’armée? Après Le Mans, les
défenseurs de la république ont tué les femmes et les prêtres
dans les chariots qui suivaient les brigands. La Convention a
applaudi. Il faudrait regarder ce qu’il s’est passé également
en Lozère, au Cantal, en Haute Loire où 10 000 brigands de Charrier
(Marc
Antoine)
ont été passés au fil de l’épée. Il faudrait examiner la
conduite de tous les représentants en mission alors qu’au milieu
des périls ils ont repoussé « les
esclaves des despotes ».
Ce sont les royalistes, les fanatiques de Nantes et de la Vendée
qui hurlent contre lui. Nantes est une des communes les plus contre
révolutionnaires. On voudrait le condamner pour des déclarations
isolées, stipendiées, obscures, des présomptions féroces, des
déclarations exagérées, mais il faudrait des preuves matérielles,
des arrêtés écrits et signés de lui. Il faut donc considérer les
circonstances et les intentions, en dehors de la passion.
Carrier
évoque ensuite Catilina, Horace, Cicéron, le sénat romain. Il
était investi de la mission de terminer la guerre de Vendée « la
plus formidable que puissent offrir les annales du monde ».
Les brigands ne faisaient pas la guerre, ils massacraient. Le
Morbihan pouvait leur apporter un renfort de 60 000 hommes, les
anglais et les émigrés, 30 000. Charette tenait une grande partie
de la rive gauche de la Loire et Noirmoutier. Nantes, encerclé,
renfermait une foule de contre révolutionnaires qui tramaient des
complots. L’amnistie avait été refusée par la Convention. Il n’a
pas eu d’intentions coupables. Il n’a dépensé que 32 000 livres
en 10 mois et n’a que 10 000 livres de capital avec sa femme. « Je
m’honore de vivre dans une étroite médiocrité ».
Il a fait arrêter des anglais dont le neveu de Pitt, a alerté sur
le danger de débarquements, renforcé les garnisons des ports. Grâce
à ses dispositions, 8 bâtiments anglais ont été pris. Il n’a
pas conspiré, toujours entouré par les défenseurs de la
république, ses collègues. Aucune lettre de lui n’est suspecte.
Ses intentions sont pures.
A-t-il éternisé la guerre de
Vendée ?
Quand
il est arrivé il y avait 150 000 brigands, avec artillerie,
munitions, et déjà 130 000 républicains étaient morts dans
d’épouvantables tourments. Seule l’armée de Mayence résistait.
La guerre durait depuis 7 mois. Il arrive, on combine des manœuvres,
on marche, et les victoires se succèdent. Plus de 10 000 prisonniers
sont délivrés. Les brigands en déroute passent la Loire. Il
fortifie la garnison d’Angers, lui fournit les munitions. Les
brigands sont vaincus au Mans, il prépare leur tombeau à Savenay,
« nous
leur enlevons tout ».
Sur la rive gauche « nous
nous emparons de tous les postes […] nous enlevons Noirmoutier »
avec le plan qu’il avait combiné avec Haxo. Après avoir enlevé
un cancer de la république on voudrait dire qu’il cherche à
éterniser la guerre ! Ce n’est pas de sa faute si les
brigands ont maintenant de l’artillerie, des armes. Revenu de sa
mission il n’y avait plus un seul chouan, toutes les routes étaient
libres.
Voilà
sa conduite. Il n’a pas participé aux mesures de détail,
incompatibles avec ses missions et son caractère.
Les représailles ont été
provoquées par les atrocités des brigands, à Machecoul, Cholet,
Saumur. On croyait entendre les cris des patriotes torturés, des
femmes, des enfants, cloués aux portes, aux arbres, aux poteaux, les
soldats brûlés dans les fours, pendus par les pieds, avec des
cartouches dans la bouche, le nez. On croyait entendre les cris de
200 000 martyrs de la liberté, les yeux crevés, les pieds, les
mains coupés, jetés dans les cachots.
« Dites-moi
ce que vous eussiez fait à ma place ? »
Et a-t-on arrêté les représentants à Lyon, Marseille, Toulon ?
Il a terminé une guerre civile. « J’ai
sauvé Nantes et la République […] Je saurai mourir pour elle
comme j’ai su vivre pour elle en la défendant ».
Il
est décidé par la Convention de procéder à l’appel nominal.
Carrier demande à y être présent affirmant « J’ai
le calme de la bonne conscience, j’ai le courage d’un
républicain. Marat fut présent à l’appel nominal ».
Après une observation de Merlin (de Douai) la Convention décrète
que Carrier sera reconduit à son domicile et que l’appel avec les
motifs des représentants sera envoyé aux départements et aux
armées.
L’appel nominal du 23
novembre 1974
Les
500 membres présents (sur 749) de la Convention doivent se prononcer
sur la question : « Y
a-t-il lieu à accusation contre le représentant du peuple
Carrier ? » en
motivant éventuellement leur réponse.
498
votent pour le décret d’accusation sans condition, deux avec
conditions. Une cinquantaine de députés motivent leur vote,
quelques uns par un discours circonstancié ou emphatique (Milhaud,
Romme, Bernard (de Saintes), Cambon fils, d’autres en quelques
phrases (Duhem, Lofficial, Bô...)
La
plupart des motifs, sans surprise, reprennent les accusations les
mieux étayées juridiquement :
-
les pouvoirs exceptionnels donnés par courrier à Lamberty et à Le
Batteux
- l’ordre de désobéir à
Tréhouart, donc à la Convention nationale
- les 2 arrêtés d’exécution
sans jugement, de brigands dont des enfants (13/14 ans) et des femmes
Plusieurs
députés demandent toutefois que Carrier ne soit pas jugé avec les
membres du comité révolutionnaire de Nantes, exigent la production
des pièces originales, ou s’en remettent au tribunal pour juger
les preuves.
Mais
on retrouve, au fil des interventions, une opposition entre deux
conceptions politiques bien différentes. Les uns mettent en garde
sur de futures mises en accusations, demandent la punition des faux
témoignages, alertent sur un possible complot contre
révolutionnaire.
Quelques
députés se distinguent même par des prises de position très
« jacobines » :
Pour
Couturier (de la Moselle), les noyades, fusillades, bateaux à
soupapes, bref « le
mode de destruction des ennemis et brigands contre la République ne
peut être jugé criminel que par son intention bonne ou mauvaise ».
Duhem,
lui, invite « la
Convention nationale et le peuple français à surveiller et à
détruire une faction fondée sur un infâme système de calomnies et
de crimes, faction soudoyée par l’étranger », et
accuse Tallien et Fréron d’en être les chefs.
Les
autres exigent que les atrocités « qui
ont fait détester le gouvernement républicain (Lequinio) »
soient enfin jugées, et/ou accusent Carrier d’avoir contribué à
la reprise de la guerre de Vendée.
Le décret est proclamé à 2
h et demie le matin du 24 novembre 1794. Carrier renvoyé devant le
tribunal révolutionnaire présidé par Dobsent tandis que ses
papiers sont mis sous séquestre
Lorsqu’on lui apprend son
renvoi et son incarcération à la Conciergerie il essaye de se
brûler la cervelle.
Calmé, il demande une cellule
aéré, habitué à l’air des montagnes dit-il, pour préparer sa
défense.